Are you gonna make it through | Yue & Reagan

Are you gonna make it through

Tu n’avais pas attendu bien longtemps avant de contacter l’homme à ton tour. Tu savais pertinemment que Reyna le rencontrait la veille mais tu étais occupé au moment de l’entretien. Ni une ni deux, quand ta jumelle avait validé le nom, tu t’étais empressé de faire tes recherches sur le personnage et de le convier à un rendez-vous.

Yue Feng.
Tu fais défiler son profil, ses activités, son histoire connue et toutes les informations que Reyna t’a transféré à son sujet. A première vue, un Vaga plutôt ordinaire si l’on omet cette drôle d’idée de se vouloir garde du corps en guise de métier. Que fichait-il chez les Vaga et non chez les Théséisses ? Parfois, l’esprit de Dogma est profondément impénétrable.

Toi, dans les faits, tu t’en fous profondément.

D’humeur taquine, tu as décidé de sortir du carcan strict de ton professionnalisme et de ne pas faire cet entretien dans votre bureau. Ainsi, tu entres dans la salle de sport sans un regard pour la personne qui tient l’accueil et te dirige directement vers la pièce que tu as privatisée. Une salle d’entrainement, initialement, dans laquelle tu as demandé une table et des chaises. Comme commandé le matin-même, plusieurs boissons avaient été disposées, dont du thé, du café, de l’alcool et des jus de fruits. Tu t’en approches pour les arranger au carré – un maniérisme que tu tiens de ta mère – et tu t’assois ensuite sur l’une des chaises pour feuilleter à nouveau le dossier de Yue sur ton axiom.

La nécessité d’un nouveau garde du corps ne t’échappe pas, vous en avez souvent discuté ta sœur et toi. Plusieurs s'étaient déjà succédés au cours des années, mystérieusement empressés de démissionner et disparaître au bout de quelques semaines. Des lâches. Des Théséisses, pour la plupart. Certains d’entre eux, ceux ayant assisté à du confidentiel, n’étaient d’ailleurs jamais vraiment reparus sur le vaisseau.

Simple coïncidence.

Lorsque ton axiom affiche la notification d’arrivée, tu te lèves pour ouvrir la porte avant que le jeune homme ne le fasse de lui-même. Immédiatement, tes yeux se baissent pour le jauger. Tu le dépasses de quelques centimètres, Reagan, et cette simple constatation te fait sourire d’arrogance.

— Yue.

Tu lui fais signe d’entrer et tu refermes la porte derrière lui.

— Bonjour. Je suis Reagan Kramer, au cas où mon visage puisse vous avoir échappé. Asseyez-vous, je vous en prie.

La pièce est loin d’être confortable, pensée pour être une simple salle d’entrainement, mais tu as choisi cet endroit parce que tu as de la suite dans les idées. La table et les chaises feront l’affaire. Tu t’assoies, lui laissant la place face à toi.

— Que voulez-vous ?

Tu attends sa réponse pour le servir patiemment, puis tu te verses un fond de brandy.

— Yue Feng. Ta voix est ferme et assurée. 27 ans. Vaga. Garde du corps.

Tu marques une pause, profitant de l’instant pour prendre une gorgée dont tu te délectes.

— … aime les chats.

Tu retiens une grimace mais tu ne peux t’empêcher d’émettre le souffle d’un rire. Tranquillement, tu t’adosses au dossier de ta chaise, les longues jambes croisées, et tu lorgnes sur ton interlocuteur. Banal. Pas foncièrement musclé, de ce que tu peux voir. A première vue, il a l’air moins sympathique que toi – c’est un bon point, tu ne comptes pas le payer pour qu’il soit sympathique mais pour qu’il se sacrifie pour ta sœur au besoin.

— Pourquoi garde du corps ?

Are you gonna make it through

Tu détermines rapidement à sa façon de faire le tour de la pièce que Yue Feng est un observateur, un homme de patience. Cela te fait sourire à l’intérieur. C’est un bon point, même le b.a.ba du garde du corps. Cela ne lui fera pas gagner ta sympathie mais une petite jauge dans un coin de ta tête commence doucement à se remplir. Le but, bien évidemment, c’est qu’elle soit pleine à la fin de votre entretien.

Et justement, quand il ne répond même pas à ta question sur ce qu’il compte boire, la petite jauge se vide aussitôt. Tu n’en perds pas le sourire pour autant, tu ne dis rien mais tu notes intérieurement, engageant une conversation simple et formelle.

Pour manger.
Bien une réponse de Vaga, ça. Ou comme le dirait Sibylline, une réponse de « petite gens ». Tu te dis que quelque part, c’est une sorte d’assurance : s’il a tant besoin de manger, alors peut-être l’argent lui fera oublier quelques scrupules. La résilience et l’art de fermer les yeux sont des qualités que vous recherchez assurément chez votre garde du corps. Ainsi, la petite jauge se remplit à nouveau, puis se stabilise quand il parle de croquer la vie, d’être aux bons endroits, aux meilleurs moments. Tu te frottes le menton, Reagan, les yeux complètement perdus à chercher quelque chose sur son visage.

Tu aimes à croire que tu cernes bien les gens, et Yue Feng ne fera certainement pas exception à cette règle.

— Est-ce que cela ne vous fait pas sentir comme un simple d’esprit ?

La part de toi qui se rend compte que ces mots sont abrupts et indélicats est si lointaine que tu ne l’entends pas.

— Vous vivez au travers des autres, sans prendre la peine de faire ce qui vous rendrait vraiment heureux. Vous êtes un Vaga, non ? Explorez ! Fabriquez vos propres bons moments !

Cela ressemble à un putain de dicton digne des explorateurs ou, pire, des Cervantes. Tu attrapes ton verre et avale une petite gorgée. Ta langue pique agréablement, tu te dis qu'il manque quelque chose à ne rien prendre. Il en aurait peut-être bien besoin.

— A moins que vous ne souhaitiez ce travail que pour l’argent que ma sœur et moi sommes prêts à payer ? Nous serions alors votre porte-crédits, vos engraisseurs, d’ici que vous soyez prêts à prendre votre envol et nous quitter avec nos secrets.

Tu te penches en avant, les coudes sur la table, afin d’approcher ton visage du sien. Il y a une bonne réponse glissée dans tes deux propositions. Ou peut-être pas. Ta voix baisse d’une octave tandis que ton sourire s’étire en coin.

— Alors, Feng, quelle est votre position ? Êtes-vous simple d’esprit, ou souhaitez-vous simplement nous la mettre à l’envers ?