Désaccords aveugles | ft. Liam

Le son de la bouteille met ton corps en tension. Tu la sais décollée de la table, en danger. Tes doigts ne jouent plus avec le verre et tout ton être n'attends que la résolution de ce moment. Qui arrive. Doucement, sans encombre. Ton corps se relâche, ton esprit aussi. Un peu.

Son commentaire à le mérite de te faire vaguement sourire. Tu n'avais pas voulu le dire à haute voix mais tu y avais songé. Peut-être trop fort. Les Vaga t'ont toujours semblé être une bande de joyeux lurons prêts à risquer leur vie en souriant. Une notion qui t'intrigue autant qu'elle t'exaspère. Mais de là à rencontrer deux hommes presque charmeurs en si peu de temps. Une mauvaise langue aurait qualifiée ça d'un attrait pour cette maison. Tu n'y vois qu'une coïncidence ou la possibilité qu'ils aient quelque chose à te demander. Une faveur. Un prix. Tu vois difficilement pourquoi ils te porteraient autant d'intérêt. Tu enterres les âmes alors qu'eux ne désirent que voler.

- Mr. Winchester. Un amoureux de la photographie.

Tu ne dira rien sur ton échange avec lui. Le secret professionnel l'oblige. Ou l'obligerait s'il existait réellement. Mais tu t'es bâti une réputation sur le respect et l'intimité de tes contrats. Tu n'y faillira pas pour quelques gorgées de vodka. Même pour tout le miel du monde.

Evidemment qu'il te trouve plus vieux cela dit. Tu le penses toi même aussi. Tu te verrais devant les portes de la mort si tu pouvais encore les voir. Ton âme est vieille, abimée, fatiguée et, à défaut de pouvoir voir ton corps, tu l'imagines l'être tout autant. Rien ne te prouvant l'inverse.

- Th th th.

Tu claques ta langue trois fois, n'aimant pas la tournure de la conversation, tu ne peux t'empêcher de le corriger.

- "Attardé" n'est pas un joli mot, encore moins pour vous décrire. Le costume aide sûrement, ma façon de m'exprimer et mes traits doivent finir de peindre ce portrait.

Tu pondères sa proposition cela dit. Tu prétextes devoir boire de nouveau pour gagner quelques secondes. Réfléchir. Pourquoi devrais-t-il se décrire ? Tu te fiches éperdument de son apparence, cela ne changera rien. Mais d'un autre côté, tu en es curieux. Tu te poses la question. Le poison te brûle. Tu soupires.

- Pourquoi pas. A quoi ressemble Liam, éclaireur des Vaga ?

Moins sévère. Tu ne savais pas réellement que c'était un adjectif qui te qualifiait mais tu n'en es pas spécialement surpris ou vexé. Tu te sais froid et peu émotif. Tu ne pensais pas dégager cette aura-ci mais d'une certaine manière, cela fait sens. Surtout pour quelqu'un d'aussi solaire que ce Vaga. Toute froideur serait une forme de sévérité. De distance.

Sa description est courte. Trop courte. Tes yeux se plissent avec une certaine perplexité. Ou peut-être même une once de frustration. Tu ne veux pas le forcer à quoi que ce soit mais tu te sens triché. Volé d'une description promise qui n'est jamais venue.
D'une main délicate, tu reprends ton verre et le porte à tes lèvres tandis que ton interlocuteur ajoute des détails qui n'en sont pas. Tu réfléchis à la tournure de ta prochaine phrase, brûle ta gorge et t'élance.

- La beauté et le charme sont des notions subjectives.. Je ne pensais pas que vous vous décririez avec autant de.. Flou.

Tes épaules se haussent légèrement. Tu sais qu'il a voulu faire un trait d'humour. Une flatterie personnelle sans pour autant paraître trop sérieux à son sujet mais cela te fait légèrement grincer des dents. Tu te demanderais presque ce que les gens disent de toi. Le portrait doit soudainement être moins flatteur. D'infirme à monstre, tu sais que les mots qui seront employés ne seront pas du même acabit que "charmant" et "beau garçon". Peut-être n'est-ce destiné qu'aux autres. Tu as fais un croix dessus il y a bien longtemps. Cette discussion ne fait que souffler la poussière sur un tombeau.

- J'osais espérer que cette description serait chargée de chiffre et détails.

Courte pause.

- Peut-être devrais-je investir dans une oreillette pour audiodescription.

Tu souris vaguement, te tentant à une boutade d'un goût incertain. Tu es rapidement mal à l'aise et ton regard fuit sans savoir où aller, tes lèvres trempant de nouveau dans la vodka, comme un prétexte pour te taire.

Petit à petit, tu dresses un tableau dans tes songes. Un tableau flou, aux lignes raturées et toujours changeantes. Tu essaies d'y mettre de la couleur mais tu n'arrives qu'à y mettre des teintes de gris. Et puis, trop morne de les voir, tu y places de sensation. Pour la peau mate, tu y met la chaleur de ses doigts. Pour ses yeux et cheveux, tu y met l'odeur du café. Tu vois le pantalon dans sa couleur originel et souris. Ça, tu le savais. Légèrement.

Les tailles te sont floues elles aussi. Mais tu connais la tienne alors tu arrives à déterminer qu'il est plus grand que toi. Même si votre précédent échange te l'avait déjà soufflé à l'oreille.
Lorsqu'il te demande de deviner son poids, tu arques un sourcil. Tu réfléchis peu puisque tu avais déjà réfléchis avant. Un éclaireur. De cette taille.

- Quatre-vingt cinq. Quatre-vingt dix si vous pratiquez du sport quotidiennement.

L'autre chiffre te perturbe. Tu ne sais pas quoi en faire. Cent-dix centimètres. Tu n'as aucune notion de ce que cela veut dire que ton visages le trahit un peu. Ton masque de marbre toujours intact, juste légèrement défait. Tu ne sais pas ce qu'il a essayé de dire avec ça, de quelle taille parle-t-il ou même de s'il s'est simplement trompé d'unité de mesure.

- Mh.. Plus ou moins. Votre voix peut-être affublée à bien des visages. Tous charmeur, j'imagine. Là est une de vos forces j'imagine.

Tu prends une petite gorgée. L'une de tes mains vient replacer une mèche de tes cheveux ayant dégringolé devant ton visage, la replaquant dans cette coupe lisse et perfectionniste.

- Êtes vous satisfait de votre corps ? Vous avez vous même dis que les autres vous qualifiaient de beau garçon mais pas vous.

Tes yeux laiteux le couvent, les paupières basses. Ton visages n'exprime que peu et les rares émotions présentes, tu les caches derrière le verre presque vide devant tes lèvres. Tu ne peux t'en empêcher, tu veux gratter ce sourire que tu entends sans voir. Tu veux savoir ce qui se cache derrière. Le Vaga a accroché ton intérêt, c'est désormais sa responsabilité de satisfaire ta curiosité.

Tu as vu juste dans les chiffres. Plus ou moins. Peut-être un peu trop mais pas assez pour le vexer. Tu te surprends à sourire en coin en comprenant que tu n'as probablement de don que pour les chiffres. Cela t'amuse autant que cela t'attriste. Tu es vraiment devenu un gratte papier. N'y a-t-il plus que ça en toi ?

Tes yeux se plissent un peu plus à son entre-réponse. Quelque chose t'a fait tiquer mais tu n'arrives pas à poser le doigt. Alors, tu restes silencieux et écoute. Tes yeux détaillent l'indétaillable et tu t'autorises à finir ton verre élégamment.
Il n'a pas tout à fait tord. Les personnes imbues d'elle même ont tendance à t'exaspérer. Quelqu'un pourrait y voir une ironie au vu de ta maison et de ton statut mais tu n'as jamais été exaspéré des Kramer. Pour beaucoup d'entre eux, leur arrogance est justifiée. Et si tu n'approuves pas spécialement la méchanceté de certains, tu te dois d'admettre que leur talents sont présents.

Et puis, un compliment. Ce qui y ressemble tout du moins. Tu t'arrêtes et hausses un sourcil. Tu ne t'y attendais pas mais n'en montre pas non plus une extrême surprise.
D'une main délicate, tu attrapes la bouteille et te ressert, t'exprimant d'une voix douce au même rythme.

- Être humble est une vertu. Ne pas admettre ses atouts est de l'ignorance.

Tu ne soulèves pas encore ton verre. Le laissant sur le plat de la table tandis que ton index commence à en caresser les extrémités. Tu veux attendre que la chaleur parte pour mieux la relancer. Un feu plus beau à voir repartir lorsque les braises sont presque éteintes.

- Quelques flatteries de plus et je commencerai à y traduire une sérénade.. Est-ce là votre tentative ou une simple pensée parasite que mon esprit a prit la liberté de murmurer.

Faible sourire en coin.

- J'espère que vous saurez me pardonner alors. Je crains avoir oublié comment sourire sans chercher à être commercial. A l'instar d'un Vaga qui ne pourrait avancer qu'en regardant les étoiles.

Tu nies doucement. Ta tête secouée avec lenteur comme pour laisser un rêve s'évaporer. Tu sais qu'il pourrait s'agir là d'une vérité aux yeux de beaucoup, mais pour toi, ce ne peut être possible. Tu ne peux penser au charme et à l'amour, ce sont des concepts qui te sont morts. Tu les connais, les as connu.. Visiblement.. Mais maintenant, tu n'y vois pas d'attrait. Ou plutôt tu ne sais pas le ressentir. Tu ne perçois pas le monde de cette manière. Et tu doutes très fortement que le monde t'observe sous cette lentille là. Tu es Obsidian. Tu es Kramer. Tu es aveugle. Tu es prêteur sur gage. Mais es-tu homme à charmer ? Tu ne doutes plus sur la négatif. Tu as enterré cette trivialité avec beaucoup d'autres.

Tu déposes ton verre et joint tes mains, entre mêlant tes doigts avant d'y poser ton menton. Tu observes devant toi sans réellement le faire, plus dans l'esprit de reposer tes yeux sur quelque chose. Quoi qu'il soit.

Sa première réponse fini de faire monter tes sourcils. Tu es surpris. Tu n'as pas l'habitude d'avoir tord et cela t'interpelles. Tes yeux se plissent et tu écoutes. Après s'être haussés, ils se froncent. Ainsi apprends-tu que tu laisses échapper des sourires sans t'en rendre compte. Sans être en contrôle de ceux-ci. Tu n'aimes pas cette idée, aussi futile soit elle. Tu pinces tes lèvres et soupire doucement.

- Ce devrait être une bonne nouvelle, j'imagine. Mais ne pas savoir ce que fait son visage est une notion que je trouve particulièrement désagréable.

Tu marques une pause avant de rajouter.

- Un chercheur m'a dit que le bon côté des choses est que je ne me verrai pas vieillir..

Tu ne dis rien de plus. Laisse planer cette phrase que tu exècres. Tu pourrais le faire exécuter sur le champ si tu le pouvais. Ou tu lui arracherais les yeux. A main nu. Tu n'es pourtant pas quelqu'un de violent mais cette phrase.. Du même acabit que les psychologues de comptoir demandant aux dépressifs de se forcer à sourire pour aller mieux. Tu ne lui as pas demandé son avis, juste de faire son travail. Et visiblement, c'était déjà trop lui demander.

Ton visage se ternit un peu plus encore, son sourire disparait et la flamme laiteuse de tes yeux s'éteint. Tu es de nouveau morose. Ta langue claque et tu ne peux t'empêcher de lâcher une phrase sonnant comme un ordre.

- Distrayez moi.

Tu n'es pas satisfait de ce moment, de cette réponse, de ce tout. Tu n'es ni en colère ni en joie. Tu es juste insatisfait. Tu l'es suffisamment pour ne même pas avoir l'envie ou la décence de le cacher. Peut-être est-ce l'alcool qui te fait ressentir ses émotions. Au final, peut-être que Liam avait raison, l'alcool te rend vivant. Mais si c'est cela ton visage, tu préfèrerais être mort. Vivre dans l'éternelle sensation que ce que tu fais aurais put être tellement mieux dans un autre contexte, dans une autre vie. Tu as enterré cette notion et vivre avec quelqu'un d'aussi solaire t'oblige à la considérer.

Tes doigts grattent presque nerveusement les gravure du verre. Tu ne lis plus celle-ci avec curiosité. Tu les ignores, tu veux juste concentrer ton attention sur autre chose. Une autre sensation.

Sa voix grave te sort de cet état. A croire qu'il en faisait exprès. Ton regard part vers lui et observe la silhouette, attendant la suite. Tu n'as d'ailleurs pas long à attendre au final. d'autres mots rejoignent les premiers. Un trait d'humour encore une fois. Tu la digères plus difficilement que les précédentes mais tu te forces à placer un pseudo-sourire sur tes lèvres. Peut-être sera-t-il perçu comme médisant, mais c'est le mieux que tu puisses faire à l'heure actuelle. Et puis il en ajoute une autre. Celle-ci fini de te décontenancer. Tu restes perplexe pendant de longues secondes. Tu ne comprends pas cette manie qu'on les Vaga de te proposer des activités qui te sont plus ou moins hors de portée.

- Pieds gauches ou non, il aurait fallu que vous conduisiez la danse. Je ne suis pas dans un espace que je connais. Mes erreurs seraient de rentrer dans la table et les murs plutôt que marcher sur les pieds de mon partenaire.

Tes épaules se haussent avec délicatesse. Tu ne t'en rends pas compte de suite, focalisé sur le fait que Liam semble souvent vouloir tourner tes propos en charme ou manière de te faire parler, mais.. Tu es distrais. Tu ne penses plus à tes mots d'il y a quelques secondes. Tu es lancé sur autre chose. Tu en aurais conscience, tu aurais remercié l'alcool. Mais tu ne le sais pas, alors tu continues simplement de parler.

- Pour savoir que vous avez, et je cite, "deux pieds gauches".. Vous devez déjà avoir dansé ou aimez danser. Donc ma question est la suivante.. Quel style ?

Tu ne sais pas réellement comment lui répondre. Tu es partagé. Tu n'es pas sur un fil, prêt à tomber d'un côté ou l'autre en fonction du vent. Tu es juste.. Incertain. D'une part, tu ne penses pas apprécier son contact. Sûrement trop chaud. Trop doux. Tu penses aussi qu'il ne saurait pas correctement danser. Tu penses aussi que tu n'es pas encore informé de ses intentions et tu t'en voudrais presque de faire miroiter des espoirs sur une relation qui serait à sens unique.
De l'autre, tu n'arrives plus à te souvenir de la dernière fois où tu as danser. L'alcool te donne envie de te mouvoir. Et une partie de toi est curieux de voir le niveau de ton interlocuteur. Presque mesquin dans ta pensée, tu songes aussi de sa très probable gêne sur la démarche à suivre vis à vis de ton handicap.

Tu marques une pause après avoir attendu qu'il finisse sa prise de parole. Tu observes autour de toi sans bouger la tête. Tu n'en as pas l'utilité de toute manière. Tu es juste songeur. Et, un songeur laisse souvent ses yeux vagabonder pour trouver le néant. Tu n'as juste pas beaucoup d'efforts à le faire pour le trouver.

- Mh.. Soit.

Tu te redresse, attrapant la bouteille avec délicatesse mais doigté. Tu te sers à nouveau et termine ton verre d'une traite avant même que ta main ait fini de redéposer le contenant à son emplacement original. Tu as besoin de cette brûlure pour sentir l'illusion d'une chaleur en toi. Vous le savez tous les deux. Là où certains y voient du courage liquide, il ne s'agit pour toi que d'une vie éphémère.

- Mes employés ne regardent que vos gestes déplacés. Vous ne pouvez craindre mon regard sauf si nous nous trouvons à une distance extrêmement réduite.

Tu te lèves. Doucement, presque élégamment. Tu laisses ta canne sur le bord de la table mais y laisse ta main. Comme une ancre pour un bateau qui craint le large.

- Avez vous déjà dansé avec un homme ?

Tu patientes en silence. Ta respiration se calme au point d'être couverte par les battement d'un cœur. Ton corps ne bouge presque plus et se fige dans cette position. Tu n'as plus rien de vivant en toi et pourtant. Et pourtant. Tu t'offres à une activité frivole, tu en es presque surpris. Pis encore, c'est toi qui en fais la proposition. Tu es risible et tu le sais. Tu te serai moqué de toi même si tu avais la foi de le faire.

Sa réponse brise ta torpeur, te faisant hausser un sourcil. L'espace d'un instant, cela t'intrigue, t'interroge. Mais rapidement, cette sensation disparait. Tu la connais. Toi non plus tu n'es pas certain de ce que tu as déjà fais. De ce que tu as fais. Parfois, tu as l'impression d'avoir des souvenirs mais ceux-ci ont plus la sensation d'un déjà-vu. Cela t'agaçais. Puis est venue la dépression. Maintenant.. Tu ne sais pas. Tu existes juste.

Il s'approche. A défaut d'entendre ses pas, tu entends ses mains. Tes yeux se plissent légèrement mais tu ne peux qu'apprécier le geste. Comme pour te prévenir. T'offrir la chance de ne pas être surpris par quelqu'un de bien trop silencieux. Tu n'y serai pas habitué. Tes sens restants se développant pour palier au manque. Mais lui.. Tu ne l'entends pas. Tu n'aimes pas ça mais tu ne peux aussi que rire intérieurement en te rappelant qu'il a essayé de te faire croire qu'il possède deux pieds gauches. Quelqu'un d'aussi silencieux se doit d'être agile.

Sa prise de parole te fait légèrement déglutir. Tu sais encore comment cacher cette réaction, fort heureusement. Tu ne voudrais pas le laisser apercevoir une nervosité en toi. Tu es l'Obsidian, tu ne peux pas te mettre à rougir pour une danse sous le regard de la Vodka. Tu réfléchis alors, cherchant une réponse. Une manière de tourner les choses à ton avantage. Tu es un monstre effrayant parmi les collecteur de dette mais une danse avec un Vaga te mettrait mal à l'aise ? Une honte à tes yeux.

- Je crains ne pouvoir complimenter que votre silhouette..

Tu plisses les yeux et observe la main tendue vers toi. En tout cas, ce que tu imagines être sa main au vu du contexte. Tu y réfléchis, pendant quelques secondes. Il est plus grand que toi, tu pourrais tout de même conduire mais tu n'as aucune réelle notion de ce qui vous entoure. Conduire, c'est choisir le rythme, la proximité. Mais tu n'es pas en position de l'imposer. Tu devra le suivre et cela te fait vaguement grincer des dents. Tu n'arrives pas à savoir si tu peux lui faire réellement confiance. Mais tu t'y prêtes. Ton jugement légèrement embrumé par l'alcool.

Tu lèves ta main et vient la poser délicatement sur la sienne. Tes doigts glissent le long de sa peau, provoquant une décharge chaleureuse sur ta peau froide. Tu dessines les traits de sa main dans ta tête, tu la visualises presque. Un bref sourire s'échappe avant que tu ne parles.

- Je vous laisse donner le ton. J'ai une vague conscience de votre corps en touchant votre main mais je risque de manquer d'adresse pour les premiers pas.

Tu es tendu, nerveux. Pourtant ton corps ne bouge pas. Ou seulement qu'un peu. Tu ne veux pas lui montrer de signes que tu considères comme étant faiblesse. Ta mâchoire est légèrement serrée mais ça, tu n'as plus le souvenir que quelqu'un peut le voir. Sa remarque ne t'inquiètes pas plus que cela. Tu n'es pas inquiet. Tu n'es juste pas rassuré. Tu ne sais pas s'il est candide ou bardé d'idées. Si ses mains resteront là où elles se doivent d'être ou s'il les fera se balader sans que tu n'ai vraiment le temps de les refuser. Tu doutes qu'il soit ainsi mais tu ne peux pas t'empêcher d'y penser. Cela t'échauffe légèrement, tu t'agaces d'un évènement qui ne se produira peut-être pas. Mais tu ne t'écartes pas. Tu pourrais. Mais tu restes. Cet élan d'émotions contradictoires secouant le rythme mort de tes pensées.

- Je vous fais confiance, ne serait-ce que le temps de cette danse.

Tu souris poliment. Tu n'as pas put t'empêcher de t'exprimer de manière retenue. Te sentant obligé de lever tout de même un bouclier, ne serait-ce qu'au cas où. Le besoin de lui rappeler que tu n'es pas facilement approchable. Que ce soit une vérité ou quelque chose auquel tu veux croire.

Il te prévient de ses actes. Tu hoches doucement la tête, autant pour valider et accepter cette étapes que par appréciation. Tu n'aimes peut-être pas être pris en pitié mais cela.. Tu apprécies. Les contacts étrangers sont des agressions devenant caresse après être déclarés.

- Très bien.

Tu lèves ta main vers son épaule en suivant son bras. Tu en es légèrement surpris, tes doigts glissent sur sa peau que tu devines musculeuse. L'ombre de sa taille était déjà plus ou moins inscrite dans ton esprit mais tu es désormais capable de la comprendre lorsque tu arrives enfin au sommet. Ta main s'installe et tu essaie de trouver une position confortable lorsque tu ressens sa paume sur ta hanche. Il t'avait prévenu mais tu en es quand même surpris. Le contact te plait mais tu ne lui dira pas. Tu ne veux pas l'admettre et tu ne veux pas rendre les choses gênantes. Ta propre main s'ancre sur son épaule, comme pour silencieusement l'autoriser à faire de même.

Le contact te fait tourner la tête vers ton autre main. Tu patientes pendant quelques secondes avant de bouger tes doigts. Tu es étends doucement, cherchant le contact précédemment formé jusqu'à le toucher une fois. Puis deux. Puis de glisser ta main sur la sienne afin de profiter de sa chaleur.

Tu es proche de lui, peut-être un peu trop. Tu en es gêné mais, de quoi n'es-tu pas gêné maintenant. Tu as milles raisons de tout arrêter et retrouver ton sérieux et, pendant quelques instants, la main sur son épaule se décolle. Paré à s'enfuir. Mais.. Tu la reposes, doucement. Tu patientes, le visage tourné vers le côté pour ne pas lui infliger tes yeux.

- Que souhaitez vous danser ?

Tu souris poliment pour cacher la sincérité de celui-ci. Tu te masques d'une fausse gentillesse pour excuser sa réelle présence. Tu ne saurais dire si tu n'aimes pas ressentir ces émotions, si tu n'aimes pas les montrer ou si tu n'es juste pas à l'aise puisqu'elles te sont devenues étrangères. Pire encore, tu te douterais presque que s'il s'agissait de la dernière option, ta gêne viendrait du fait que tu les a oubliées et non pas des émotions elles-mêmes. Tu en aurais honte. Honte de reconnaître n'être qu'une coquille, une ombre de ton passé à la même allure que les ombres devenues vision.

Tu te laisses porter, pas à pas. Tu n'as d'hésitation que dans tes mains, anxieux à l'idée de le toucher. Tes pas sont sûrs, plantés si près des siens que l'on pourrait croire que tu t'apprêtes à lui marcher dessus. Mais tu ne le fais pas. C'est presque mécanique, comme de la mémoire musculaire. Tu sais que l'on t'a appris à danser mais tu ne sais ni où ni quand. Alors, dans ton ignorance, tu sais. La Terre t'a apporté tant de savoir que le sommeil t'a ôté. Tu en découvres peu à peu chaque jour, comme si tu faisais un échange avec tes autres sens. Parfois, tu aurais préféré rester ignorant et garder ta vue. Cependant, à l'inverse des contes de fée, tu n'as nul part où signer pour revenir en arrière.

- Je suis à l'aise.

Tu ne lui demandes pas de le faire, tu l'affirmes juste. Bien que cela soit faux. Tu n'es pas à l'aise. Tu es tout le contraire. Tes joues sont rougies d'un rose pâle, tranchant la blâmeur de ton épiderme. Tu n'as pas l'allure d'une jouvencelle gênée, juste d'un homme incertain. Un fantôme ressentant ce qu'il avait oublié de ressentir. Alors non, tu n'es pas à l'aise. Mais tu ne lui mens pas non plus. Dans tes pas, dans vos pas, tu es à l'aise. Et cela te suffit pour ne pas avoir l'impression de lui mentir.

Tu le laisses guider tes pas bien que tu lui montres silencieusement que tu connaitra ses mouvements avec la simple inclinaison de ses mains. Ta hanche chauffe doucement, tu n'y peux rien. Tu sens sa poigne sur le tissu protégeant ta peau. Des grandes mains. Cela te mettrait mal à l'aise si tu ne l'étais pas déjà. Alors tu laisses tes yeux se clore à mi chemin. Tu apprécies ce moment que tu sais éphémère. Tu ne réfléchis pas et laisse ton corps n'être qu'une extension du sien. Tu n'as pas l'habitude de lâcher prise, pourtant tu le fais là.

Te refusant à perdre tout contrôle, tu décides de garder main mise sur les mots.

- Vous êtes tendus. Avez vous peur de me briser ou craignez vous ma proximité ?

Malgré ta volonté de rester distant, de marquer un espace entre vous, tes mains ne peuvent s'empêcher de s'ancrer à lui pour finir par être une extension de son corps. Vous ne valsez pas dans un rythme endiablé et tu en es autant soulagé que déçu, mais cela te permet au moins de garder une composition normale sur ton visage. Tes doigts jouent parfois sur sa surface, s'appuyant en rythme comme si tu annonçais tes pas avec un certain code. C'est peut-être le cas, tu le fais sans réfléchir, une forme de réflexe musculaire. Pavlovien il te semble.

- C'est son travail d'observer.

Tu souris poliment bien qu'une trace de sincère joie s'installe sur tes lèvres. Si tu n'as pas de famille sur ce navire, tes employés les plus proches le sont devenus. Tu connais tout d'eux. Tu leur demandes souvent des nouvelles de leur vies. Comment vont les amours et les enfants. Tu sais que nombre de détracteurs te peindraient comme étant froid, distant et tyrannique avec tes employés. Pourtant, la vérité en est bien loin.

- Peut-être qu'il ne vous regarde que pour pouvoir me décrire précisément à quoi vous ressemblez. Ou simplement regarde-t-il juste la scène sans en regarder les acteurs. En tant qu'explorateur, regardez vous le ciel ou simplement une étoile ?

Tu hausses les épaules légèrement, suffisamment pour faire bouger sa main posée sur ta chemise. Tu en es distrait. Sa chaleur ne cessant d'irradier et de bénir le manque de celle-ci sur ton épiderme. Sans vouloir le penser et encore moins l'exprimer, tu te sens ravi de posséder la protection du tissu à ce moment. Le contact de sa main sur la tienne suffisant presque à te déstabiliser. Tu aurais été bien mal si ta hanche était momentanément dévêtue. Une idée que tu chasses brutalement de ton esprit en prétextant un râclage de gorge. Ces pensées intrusives n'ayant jamais fait partie de ton commun, les ressentir maintenant te contrarie. Tu cherches alors à canaliser cette rancœur puisque tu la sais injuste. Tu cherches un sujet, des mots et tu n'en vois qu'un. Alors, tu prends une voix aussi douce et posée que possible et pose ta question.

- Pensez vous que Borée existe ?

La pression de tes mains se maintient. Tu solidifies tes appuis sur lui sans vraiment y réfléchir. Tu ne cherches pas spécialement à te rapprocher de lui ou à profiter de sa chaleur. En tout cas, pas consciemment. Tu cherches juste ton confort. Danser avec un inconnu est une chose. Danser dans le vide avec quelqu'un dont tu ignores le nom de famille en est une autre. Pour tout un autre monde, tu n'aurais pas agis d'une telle manière. Tu le sais mais tu te refuses d'y penser. Pour une soirée, un moment ou une heure, tu refuses de réfléchir à ce que tu considères mort. Pour ce moment, pour cette personne, tu fais semblant d'exister. Peu importe si l'identité de cette personne soit l'homme en face de toi ou toi même.

Tu souris, ton visage se détend légèrement. Tu n'es pas spécialement plus expressif qu'avant. Et, si ton visage devait se décrire de glace avant, le voilà peut-être qualifié de neige. Tu le laisses te conduire bien que ton corps pousse parfois dans un sens ou dans un autre, marquant l'assurance qui s'installe en toi. Tu ne souhaites pas conduire, loin de toi cette idée. Juste.. Ne pas être fait de sucre.

Sa sincérité vis à vis de Borée à le mérite de te faire sourire tristement. Tu n'espérais aucune réponse. Non. Tu en espérais une. L'espoir. Mais tu t'y refusais d'y croire. Mais maintenant qu'il prononce ce flou que tu savais déjà, cela ne fait qu'ancrer tes croyances. Ou du moins, l'absence de celle-ci. Vous êtes égarés dans l'espace, voguant vers un mirage toujours trop loin. Tu aurais préféré rester endormi pour mourir en silence, sans personne pour danser avec toi ou pour pleurer tes larmes.

- Je vois.

Ta voix s'étrangle légèrement, mais le ton presque murmuré de tes mots le couvre. Son visage se rapproche du tiens et tes yeux brumeux y vont à sa rencontre. Tes paupières clignent plus frénétiquement comme pour essayer de forcer des pupilles à se focaliser sans y réussir. Tu détailles le contour de ses traits, la douceur et force de sa mâchoire. Ton sourire devient presque moqueur lorsqu'il susurre. Tu sais qu'il joue, tu ne sais juste pas à quoi. Alors tu t'y prêtes, déterminé à en connaître les règles rapidement.

La main précédemment posée sur son épaules rejoint sa joue. Tu laisses tes doigts presque caresser ses traits, la douceur de ta peau contre le presque rugueux de sa pilosité que tu présume rasée. Tes yeux deviennent mi-clos bien que tu les gardes plantés sur lui. Autant pour lui infliger leur vision que pour t'infliger la sienne.

- Mes mains sont meilleurs regard que mes yeux. Si vous craignez la description de ne pas vous faire justice, priez pour que mon contact en répare les oublis.