Un bref moment d’absence. Le diamant Kramer s’était surpris à observer un point fixe droit devant elle. Observant le vide en silence. Elle n’écoutait plus les uns et les autres geindre, elle n’écoutait plus chacun apportait son édifice à la pire de l’égoïsme. Elle était ailleurs. L’espace d’un moment. Elle était loin. Bien loin d’ici.
Elle ne ressentait rien. Rien qu’un vide palpable. Presque perceptible, qui la comblerait tout entière si ce n’était pas pour toi. Grâce à toi. Son jumeau Reagan, qui lui apporte l’envie d’être toujours aussi digne de lui.

Pourtant, malgré tout, malgré toi, malgré lui et malgré eux. Elle était lasse de toute ces discussions. Las de débattre avec ceux qui ne comprennent pas. Qui sont bien incapable de comprendre. Ils cachent leur frustration derrière la haine, leur jalousie derrière la colère. Esclave de leur propre faiblesse, d’esprit et de corps.
N’avez-vous jamais ressenti t’elle chose ? Fatigué et déçu par la vie. Comme si elle n’était jamais heureuse mais qu’elle ne voulait pas mourir pour autant. Comme si tout ne tenait qu’à un fil, mais qu’elle faisait tout pour survivre. Parce qu’il faut survivre. Elle ne pouvait se contenter d’abandonner. De renoncer.
Son corps était dans la pièce mais elle ne se sentait pas présente. Peut-être qu’au fond, elle aussi elle a de l’empathie comme les autres. Peut-être qu’au fond, elle aussi elle est comme les autres. Normale. Sans être un monstre. Mais même si c’était le cas, même si elle en avait. Cette fameuse empathie, elle s’en moquait éperdument. On ne lui avait jamais appris à s’arrêtait sur ce genre de détails.  On lui avait simplement dit d’avancer, toujours, sans prendre la peine de regarder en arrière, sans prendre la peine de s’inquiéter pour ceux laisser sur le bord. La force d’être toujours meilleure que les autres, tout faire pour garder cette illusion. Peut-être qu’elle aurait pu ressentir l’amour. Peut-être qu’il est trop tard pour la réparer.

Elle était fatiguée de prétendre. Prétendre en avoir quelque chose à faire alors qu’elle s’en moquait plus que tout. Fatigué de faire semblant d’être comme les autres. Fatigué de sentir disparaître petit à petit. De sentir qu’elle s’enfonce dans le néant jour après jour. Le bateau prend l’eau et elle ne respire déjà plus, il coule et elle ne tient plus. S’accrochant désespérément à la marée qui l’emporte. Faut croire que ses parents ont gagné. Faut croire qu’ils ont gagné Reagan. Vous êtes bien cassés pour de bon.

Elle n’avait plus besoin de faire semblant. Qu’ils en soient témoin. Elle leur ouvrirait les yeux. A tous. A chacun d’entre vous. Elle vous ferait comprendre. Même si vous avez trop peur pour l’admettre. Même si vous êtes trop lâche pour affronter votre réalité. C’est dans cette illusion que vous pourrez attraper la vérité. C’est à travers la brume que vous la verrez.

Haïssez-moi. Détestez-moi. Ressentez-moi. Jusqu’au plus profond de votre être. Je m’en moque. J’en ai assez. C’est le début de la révolution. C’est ici que tout commence. C’est ici que débute la nouvelle aire, la tienne, la vôtre, à toi Reagan. A moi. A Kramer. Dans le silence où meurt les ovations. Dans le silence laissé par le discours Théséisses. Où les insultent fussent et les arguments meurent. C’est ici. C’est ici que vous allez comprendre.
Ils comprendront tous, ce qu’il en coute de s’attaquer aux Kramer. A son Kramer. A son frère. Son jumeau. Chair de sa chair.

« Silence. »

Sa voix était sèche, violente, acerbe. Laissant transparaître un peu trop le mépris qu’elle avait en elle, qui coulait jusque dans son regard balayant la pièce. Elle était bien au-delà de la peine, en pleine déception.

« Vous aboyez comme des créatures incapables de réfléchir. Insultant votre voisin, les gens mêmes qui ont décidé de réunir cette assemblée. Pour que tous puissent avoir un vote dans cette histoire, pour que vos idées et envies puissent rentrer en jeu dans les décisions sénatoriales. Au lieu de travailler ensemble et d’exposer votre avis et surtout vos choix. Vous êtes trop préoccupé à laisser parler la vulgarité, à remettre en question les avis de chacun, à critiquer sans rien proposer. Il est facile de se comporter comme si tout ceci n’avait aucune incidence. Il est facile d’agir sans craindre. Sans espérer qu’il y ait de conséquence à vos actes. Vous prenez ce référendum comme acquis. Comme un droit qui vous est due. Mais vous ne le respectez pas le moins du monde. »


Sa langue claque sur son palais.

« Puisque personne n’a le courage de vous le dire. Puisque personne n’ose exprimer clairement la vérité. Celle qui vous pend au nez. Je vais vous le dire moi. Il suffit. J’en ai assez de supporter les caprices de chacun. L’incrédulité et la légèreté de tous. Vous n’avez pas eu le temps de grandir dans vos capsules ? Bravo, nous non plus. Habitant née sur le vaisseau. »

Son regard traverse la salle.

« Nos ressources ne sont pas éternelles. Notre énergie n’est pas éternelle. Notre volonté, notre espoir. Rien n’est éternel. Rien n’est acquis. Tout se paye. Contrairement à ce que certains pensent. Contrairement à ce que d’autres croient. Tout. Se. Paye. Même l’air que vous respirez dans ce vaisseau, même votre propre vie. Mais vous avez trop peur de le comprendre. Nous n’atteindrons jamais Borée. Peut-être que oui. Peut-être pas de votre vivant. Nous risquons de mourir sur une planète hostile. Nous risquons de mourir dans ce vaisseau sans jamais rien voir en dehors, sans jamais découvrir ne serait-ce qu’un tiers des paysages contenus dans nos archives. Nous risquons de mourir sans avoir vécu en dehors de ce que nos écrans daignent nous montrer. »

Elle s’était levée sans même s’en rendre compte, pendant son discours.

« Vous voulez perdre votre temps en futilité, en chamaillerie. Vous voulez perdre votre temps en querelle inutile et vaine. Vous voulez agir comme des enfants chahuteurs. Très bien. Mais sachez que chacun de vos choix aura une conséquence. Sachez que vous n’êtes pas à l’abris. Pas même dans ce vaisseau. Sachez que votre vie risque de s’achever du jour au lendemain. Alors avant d’agir avec autant de légèreté. Si j’étais vous, j’essayerais de ne pas perdre la réalité des yeux. Celle qui nous menace à chaque instant. Amusez-vous, soit. Se changer les idées à du bon. Pourtant, ce lieu n’est ni une salle de jeu, ni une salle de spectacle. Si vous êtes incapable de comprendre cela, je vous invite à ne plus jamais poser les pieds dans le Sénat à l’avenir. »

Se rassoit en silence.

« Pour ma part, je serai contre toute nouvelle utilisation de référendum. Il faut que tous apprennent à assumer leur acte. Vous ne vous en prenez pas simplement aux Kramer, vous attaquez l’institution même sur laquelle est fondée ce vaisseau. VOTRE vaisseau. Réfléchissez bien à l’avenir à vos paroles. Je serai impitoyable avec ceux qui troubleront notre paix. Être contre le système, c’est être mon ennemi. Notre ennemi. »

Son doigt passe sans grande conviction sur son Axiom. Vote pour l’extérieur. En espérant qu’ils puissent tomber sur une planète hostile. Qu’ils aillent donc crever face à la dure réalité de ce monde.