Papaver somniferum - Sambre

Attablée à son bureau, Gloria pianote du bout des doigts sur l’accoudoir de sa chaise en regardant le transfert de données progresser lentement, pourcent par pourcent. Pendant que son ordinateur travaille tout seul, elle fixe l’écran holographique de son Axiom avec un air désabusé, visiblement peu intéressée par la vidéo qui défile sous ses yeux. Le son des voix résonne dans son laboratoire – c’est une interview du Lotus qui parle de ses recherches, et il paraît qu’à plusieurs moments on voit ses crottes de nez. La botaniste baille : est-ce qu’on lui aurait encore menti pour l’encourager à se tenir au courant des actualités scientifiques en dehors de sa discipline ? Non, voyons, c’est impossible. Elle ne se ferait jamais avoir une huitième fois. (Quoique...)

Une notification apparaît et elle se redresse en bondissant. Ah, enfin ! Transfert terminé, affiche la petite bulle flottante qu’elle balaie du revers de la main. Gloria pianote sur son clavier, relance des analyses interrompues et se lève avec un sourire victorieux, contente de ne plus être piégée dans l’attente. Elle va enfin pouvoir aller tourmenter des collègues pour qu’ils lui fassent du café. Ca, c’est déjà beaucoup plus divertissant.

Lorsqu’elle revient, elle tient deux tasses remplies du délicieux breuvages. Une qu’elle sirote bruyamment, et l’autre qu’elle dépose sur son bureau. Sambre devrait arriver bientôt, pense-t-elle en vérifiant l’heure, le café devrait lui occuper la bouche et le faire taire pendant qu’elle lui présente ses documents, non ? Si ça ne marche pas, elle n’aura qu’à lui couper la parole en parlant plus fort que lui - c’est une solution assez efficace aussi, en général.

Elle prend appui sur le bout de son escarpin et pousse un bon coup pour tourner sur elle-même dans son fauteuil : une occupation réservée aux plus grands esprits du vaisseau. Est-ce qu’il remarquera la petite pointe de sel au fond de sa tasse ? Qui sait. Attendez, elle ne s’est pas trompée de tasse, au moins, si ? Elle hésite à remuer sa cuillère pour vérifier, puis décide que finalement non, autant laisser un peu de place à la chance.

Et puis, un visage qui n’est que trop familier vient d’arriver sur scène.

- Marche encore plus lentement, non ? Ce n’est pas comme si ça faisait une heure que je t’attendais.

Elle prend appui sur l’accoudoir de son fauteuil en désignant la tasse qui l’attend, et une chaise libre réservée aux invités. Son expression satisfaite tranche avec son ton cassant : un cocktail haut en contrastes qu’elle ne sert qu’à une seule personne dans cette Maison.

- Pour toi. Tu as bien reçu ce que je t’ai envoyé tout à l’heure ? Allez, dépêche-toi de t’installer, on ne fait pas attendre une Dame, enfin. Tu vas bien, sinon ? Tu as vu la dernière interview du Lotus ? On voit l’intérieur de ses narines à un moment, c’est ré-pu-gnant ! Franchement, on n’a pas idée de filmer des gens sous des angles aussi peu flatteurs. Enfin, tout le monde ne peut pas avoir que des bons angles comme nous, n’est-ce pas ? Les pauvres.

Ce ne serait pas vraiment Gloria si elle ne partageait pas ses informations douteusement sourcées, pas vrai ? Et tant qu’à faire, autant papoter de tout et de rien avant de commencer, semble-t-elle penser alors qu’elle s’impatientait moins d’une minute auparavant.