Capture de l'éphémère | ft. Holy

Les Arabesques de Debussy jouent en arrière plan, pas assez fort pour que tu aie envie de laisser tes doigts pianoter un instrument qui n'existe pas mais juste ce qu'il faut pour que tu n'entendes pas le silence. Tu n'aimes pas le silence. Tu détestes la sensation de n'être que brume. tu t'obliges à faire un mouvement pour justifier un bruit, un bruit pour justifier ton existence que tu ne peux plus prouver par tes yeux. Plus vraiment cela dit.
Debussy a toujours eu ce pouvoir sur toi, du plus loin que ta mémoire te laisse entre-souvenir. Une capacité à te faire oublier tout en te faisant penser. Comme si, soudainement, tu passais d'acteur à spectateur. Une bulle dans laquelle tu aimes te poser plusieurs fois par jour même si tu ne réserves le Clair de Lune que pour quand tu es réellement seul, chez toi.

Tes doigts ne pianotent pas sur les touches d'ivoire mais glissent sur les rebonds du papier. Tu lis tes notes et les comptes rendus du jour. Tu te laisses parfois absorber par cette lecture, les mots et les chiffres ayant un sens que tu ne saurai expliquer que lorsque tu ne veux pas en parler. Tu espaces toujours tes rendez vous de quelques heures pour avoir du temps et te recentrer sur toi, sur les chiffres et pour oublier les arguments larmoyants, outragés, fallacieux, menaçants, implorants et salaces de la silhouette précédente. Ta mémoire est bonne et, très souvent, ces gens espèrent que ton handicap t'empêchera de se souvenir réellement d'eux, de leur promesse faite il y a quelque mois. Mais il ne semble pas comprendre que la simple énonciation de leur nom te suffit pour te rappeler la somme approximative de leur dette. Tu les connais mais ils ne te connaissent pas. Là où tu les étudies, eux, ne font l'effort que d'aimer te détester. Tu ne forces jamais personne à emprunter mais tout le monde semble l'oublier lorsqu'il s'agit de payer.

Un soupir allonge ta respiration lorsque tu entends la petite sonnerie de ton secrétaire. Ton nouveau rendez vous est là, les heures sont déjà passées et tu ne les as pas vu. Tu ris silencieusement à cette pensée et t'étire doucement. Ton doigt se dépose sur le bouton et ne lui dit qu'une seule chose, au travers du micro.

- Faites le entrer.

Tu n'as plus que quelques secondes de répits, de longues secondes pendant lesquelles la nouvelle âme en détresse prépare son discours, son plaidoyer en marchant dans le couloir démesuré menant à ton bureau. Tu ne t'en souviens que vaguement. De grandes vitres dedans une vue plongeante sur toute l'aile Nord. Ton bureau en est lui même entouré de ces vitres. Tu ne vois plus vraiment au travers de celle-ci. La profondeur tuant toute couleur. Tu n'y prêtes plus attention même si tu savais la vue magnifique. Tu laisses même souvent les drapés à mi fermés, créant une ambiance plus tamisée. Tu as parfois l'envie de changer, donner un aspect moins riche, moins opulent, moins.. froid. Mais tu sais que cela va avec ta position. Tu dois montrer ta richesse et écraser ceux qui viennent te demander une part.

Tu entends la porte commencer à s'ouvrir, ton visage s'abaisse vers tes papiers tandis que ta main vient indiquer un fauteuil se trouvant normalement devant toi d'un geste distrait. Et, alors que cela n'a pas encore commencé, tu te languis déjà de la fin de ce moment.

Tu écoutes ses pas approcher à défaut de pouvoir l'observer. Beethoven commence à jouer, entamant Moonlight Sonata avec douceur. Tes épaules restent droites même si tu voudrais les faire s'affaler. Tu voudrais passer cette journée et venir à demain même si cela signifiera ouvrir de nouveau les yeux avec l'anxiété de quelqu'un qui ne sait pas ce qu'il ne verra plus. C'est ce que tu es au final, un homme anxieux sans pour autant en avoir la panique. Tu regardes les fils se rompre, l'épée tanguer et tu ne bouges pas.
Tu ne bouges pas non plus de ton assises, seuls tes doigts parcourant le relief de tes notes venant séparer ton corps de celui d'une statue de sel. Tu soupires doucement, pour la première fois ou à nouveau, tu ne saurais dire.

Du tutoiement. Ton sourcil tique mais ton visage caché par l'angle ne le trahit pas. Tu détestes lorsqu'un inconnu te tutoie sans te demander l'autorisation. Tu détestes ce que tu considères comme un manque de respect mais tu le gardes pour toi. Tu communiques avec un Vaga après tout. Au même prix qu'un Kymal, tu les sais plus indisciplinés.. Plus.. Insoucieux. Alors tu ne dis rien mais tu le notes. Ta mâchoire se desserre et ton visage se dirige vers la position approximative déterminée par le son de ses prises de paroles.

- Monsieur Winchester.

Tu le salue sans vraiment le faire. Pour lui qui ne l'a pas fait du tout. Tu fais retomber la feuille que tu avais en main sur le tas présent sur ton bureau et laisse tes brumeuses le "fixer". Tu te redresse dans ton assises, joignant tes mains tandis que tes bras restent accoudés sur les rebords de ton fauteuil.

- Je ne suis pas là pour juger vos choix. Juste pour vous donner les moyens de les réaliser de manière à ce que nous soyons tous gagnants.

Tu lui mens indirectement. Tu es là pour le juger. Là pour potentiellement l'enliser dans une dette qu'il ne pourra recouvrir. Mais tu es sincère avec lui sur une chose.

- Je n'irais pas jusqu'à dire que vous allez devoir vendre votre âme. Si une telle chose existe, je doute qu'elle puisse être quantifiée en argent.

Un sourire apparait brièvement sur tes lèvres, essayant de montrer un peu de sympathie. Ton regard se glisse doucement vers le siège en face de toi. Libre ou non, tu commences à lui parler. Parlant à l'homme s'il s'y trouve ou essayant de le mettre assez mal à l'aise pour qu'il se sentent obligé de s'y installer le cas contraire.

- Je ne pense pas non plus que le terme "intime" soit justifié. Bien que cela me pousse à me demander ce que vous pensez qu'il va se passer ici..

Un de tes sourcils s'arque, tu ne peux le réprimer. Tu es habitué aux pleurs et supplications mais l'excentricité n'est pas ce que tu rencontres le plus dans ton bureau. Sa présence t'interpelle, te déstabilises sans pour autant te faire tomber.

- En raison de votre Maison, je me dois de vous demander des assurances de paiement.. Votre situation faisant que vous risquez votre vie qu'un.. Kymal par exemple. Avez vous des arguments en votre faveur pour cette transaction ? Garants, bien collatéraux, marchés, faveurs..?

Tu souris poliment, à l'écoute. Loin de véritablement apprécier chacun de ses mots, tu te contentes de les retenir dans un but plus savant. Retenir ce que disent les autres, c'est ta manière de déceler ce que le visage aurait dût te dire. La tournure de leurs phrases, leurs tentatives de camoufler une part de la vérité. Beaucoup pensant que ton handicap leur permet de baisser leur garde. Mais tu entends leur sourire à défaut de le voir.

- Probable.

C'est une vérité que tu sais incontestable. S'il était prouvé que nous étions possesseur d'une âme et que nous possédions la capacité de la vendre ou la signer sur gage.. Tu serai déjà sur ce marché depuis longtemps. Reyna te l'aurais sûrement demander et tu l'aurais surprise, ou non, avec une liste de "victime" déjà étoffée. Mais tu n'aimes pas y songer. Tu n'es pas requin affamé mais requin tout de même. Tu sais que si tu ne faisais pas ce genre de chose, quelqu'un le ferait à ta place et peut-être avec moins de doigté, scrupules et exceptions.

Tu l'écoutes mais ne dis rien. Tu notes ses remarques et états d'âmes et ne dis rien. Pour un peu, si ta respiration ne te trahissait pas, tu aurais put être un tableau non-fini.
Un bruissement sur ton flanc t'interpelles. Ton visage se tourne brusquement, presque trop vers la source du bruit. Tes yeux toisant l'infini brumeux où se détache la lueur mouvante de l'extérieur, parfois altérée par le pan de rideau manipulé. Tu ne dis toujours rien, le laissant finir. Son comportement t'agace un peu mais pas assez pour que tu ne le réprimandes.

Lorsqu'il finit de parler, tu n'es pas satisfait. Tu n'as pas de proposition concrète. Mais tu ne t'y attendais pas non plus. S'endetter pour un objet obsolète et nostalgique.. Tu savais pertinemment qu'il ne s'agirait pas là d'un fin stratège. Tu ne cherches même pas à le sous-estimer ou à le tourner en ridicule mentalement. Tu ne cherches à rien d'autres qu'à avoir son nom sur ta liste.

- Je vois.

Tu te redresses légèrement avant d'attraper une feuille de papier. Tu déposes celle-ci dans la fente d'une petite machine puis place tes doigts sur un clavier que tu sors élégamment d'un tiroir.

- En tant que citoyen du vaisseau, vous possédez ma gratitude pour le sacrifice que vous faites durant vos explorations. Cela étant dit, vous êtes payé pour cela. Accepter cela comme subvention rendrait votre Maison, et non vous, responsable de votre dette. Et je doute que vous comme eux y soient favorable.

Tu souris, poliment bien qu'un peu amusé par cette réflexion, puis continue.

- Voyez, les services de prêts fonctionnent de manière différente. Vous pouvez soit mettre un collatéral en ma possession pour balancer la valeur du prêt.. Ou nous pouvons aussi partir vers un simple prêt avec remboursement réguliers. Les intérêts sont moins importants si vous apportez un argument de poids. Garants, contrat, objet de valeur, avantages commerciaux etc.

Marquant une courte pause, tu tapotes sur ton clavier. La fente avalant peu à peu le papier tandis que de petit bruits en proviennent. Lorsque le papier commence à en ressortir, celui-ci est ponctué de bulle en relief.

- Winchester.. Emprunt.. Mh.. Voilà. Donc. Comme vous venez vers moi sans semblant de proposition commerciale, j'imagine que votre patrimoine n'est pas assez développé pour pouvoir le mettre en hypothèque. Alors votre choix principal serait d'établir une mensualité avec intérêt.

Tu hausses les épaules, t'arrêtant d'écrire. Ton visage part légèrement sur le côté tandis que tes yeux semblent se perdre un peu plus dans le néant. Ta voix s'abaisse, presque songeuse dans un ton que tu maîtrises maintenant à la perfection.

- J'offre parfois des facilités et des allègements de prêt mais je ne vous connais pas spécialement..

Tu t'arrêtes, secouant légèrement ta tête pour chasser des pensées fictives puis refocalise celle-ci dans la direction approximative de l'homme.

- Soyez honnête avec moi. J'ai les moyens de le vérifier. Quelle est votre situation actuelle ? De la famille, un/une compagne ? Vous considérez vous comme une personne stable ? Hors mis la volonté de partir et s'aventurer au delà du vaisseau. N'y voyez pas là de la curiosité malsaine mais simplement une "enquête" pour jauger votre .. Fiabilité. Vous allez avoir votre prêt, je veux juste éliminer certaines options.

Tu n'es pas très à l'aise avec lui, tu ne saurais dire pourquoi et t'efforces de le cacher du mieux que tu peux. Tu n'arrives pas à mettre le doigt sur le ou les détails qui te rendent incertain. Tu te contentes d'assumer qu'il s'agit sûrement simplement des Vaga. Loin de ta manière de penser, libres et chaotiques là où tu as besoin de règles et barrières. Tu ne veux ni ne peux réellement te jeter dans l'inconnu, rire des dangers et fermer les yeux sur les risques. Tu le fais quotidiennement. Tu ne cherches pas à étendre ton handicap sur tant d'autres domaines.

Tu l'entends s'asseoir, un peu lourdement à ton goût mais tu ne dis rien. Tu ne fais pas de remarques car tu veux te montrer courtois. Tes lèvres se pincent légèrement et tu l'écoutes. Il a au moins l'honneur de ne pas vouloir embourber d'autres noms avec lui, différent de bien des personnes venant vers toi. Pour un peu, tu aurais put le féliciter mais tu te contentes de lui sourire, sincèrement.

Tu t'apprès à répondre, lui expliquant certaines choses et détails mais tu t'arrêtes. Ou plutôt, il t'arrête. Tu refermes ta bouche à peine entre ouverte et l'observe avec un air incrédule. Un sourcil se arque et tu ne peux t'empêcher d'exprimer à voix haute ce que tu penses trop fort.

- Essayez vous de me charmer ? Cela fait deux fois que vous parler d'être intime ou proche de moi.

Tu n'es pas outré ni rougissant, tu es juste légèrement surpris. Bien que ce soit une tactique aussi fréquemment utilisée que les larmes, tu n'arrives pas à savoir s'il rit ou s'il exprime une réalité. Tu es perplexe et cela t'intrigue autant que cela t'agace.

- Les facilités de paiement sont diverses et variées. Cela étant dit, si je perds en argent, je veux gagner quelque chose. Ou autrement, je saignerai de l'argent de chaque veines sans aucun bénéfice. Je ne suis pas contre me faire des "amis", cela étant dit. Les amis s'aident sans se poser de questions. Je suis prêt à aider quelqu'un s'il est prêt à m'aider le jour où je lui demanderai quelque chose.

Tu hausses les épaules. Vaguement, sans trop en jouer. Tu survoles ouvertement le piège que tu offres aux âmes en peine, tu n'es pas un menteur. Tu ne manipules pas réellement. Chaque personne signe tes contrats en pleine connaissance de cause. Tu n'es ni ange ni démon. Ni fée, ni sorcière. Toi qui disais pourtant ne pas acheter les âmes, tu es pourtant celui-ci qui les enchaînent. Mais tu ne dis pas tout ça. Tu parles simplement d'entraide. Puisqu'au final, au yeux du monde, ce n'est que cela.

- La balle est dans votre camp Mr. Winchester. Je n'ai pas besoin de vous prêter de l'argent, vous devriez mener ces négociations ou je risque d'être obligé de vous offrir un contrat désavantageux.

Tu souris, te détendais légèrement alors que tu demandes à ton interlocuteur de défendre ses intérêts. Une négociation n'étant vibrante que si la victoire n'est pas claire dès les premiers mots.

Tu plisses les yeux. Tu n'en as plus réellement le besoin mais tu en as gardé le réflexe. Tu observes la direction générale de la voix et réduit la feinte de tes paupières avec méfiance. Toi qui est pourtant si doué pour repérer lorsque quelqu'un te ment ou essaie de te berner, tu n'arrives pas à percevoir si l'humour est présent dans ces mots. Tu sais pertinemment que s'il essayait de te mentir sur un sujet tel que l'argent ou ses allégeances, tu arriverais très certainement à déceler le mensonge. Mais là, en ce moment, tu n'arrives pas à savoir s'il cherche réellement à te charmer et cela t'agace, t'intrigues.

Et puis, il reprend la parole. Plus énergique. Tu ne sais pas si c'est ta dernière phrase qui a mit le feu aux poudres mais tu ne peux qu'apprécier. Sans le vouloir ni souhaiter de manipulation, tu laisses un vague sourire apparaître sur tes lèvres bien que le mouvement rapide te fait cligner des yeux. Si tu ne peux plus réellement voir, tu perçois toujours une partie du monde. Des ombres et volutes laiteuses mouvantes sans réel détail ou couleur si tu ne fais pas l'effort de t'en approcher. Sa soudaine proximité te surprend, détaillant la silhouette de ton interlocuteur. Tu l'observes, clignant doucement tes paupières.

Une invitation. Intéressant. Une invitation à "voir" ? Moins.

- V-..

Tu t'arrêtes puisque lui non. Tu l'écoutes continuer à parler et ta perplexité ne cesse d'augmenter. Tu ne comprends pas cette personne et cela t'agace presque. Tu grinces doucement des dents et essaie te percer à jour ce que tu penses être façade. Tu pensais vouer une haine envers les Azaraï mais tu te rends compte petit à petit que la liberté des Vaga t'énerve aussi. Tu n'es pas colérique habituellement mais ce que tu refuses d'identifier comme étant de la jalousie grandit doucement en toi. Pourtant, une part de toi veut y participer. Veut s'amuser plutôt que de détruire des vies. Tes lèvres se pincent quelques secondes puis tu t'exprime.

- Montrer du développement photographique à un presque-aveugle.. Intéressante entreprise.

Courte pause.

- Je dois admettre que je n'ai pas le souvenir terrestre du développement photo..

Le souvenir de sa voix grave continue de caresser ta nuque avec charme et inconfort. Tu n'es pas sûr de savoir comme réagir à cela. Tu n'es plus un enfant et tu ne rougira pas pour si peu. Ton pouce cherche à jouer avec la bague absente de ton doigt par réflexe. Tu as déjà connu l'amour, tu le sais bien que tu ne t'en souvienne plus réellement. Réveillé avec une bague de fiançailles sans le ou la fiancée qui l'accompagne. Tu n'as jamais su de qui il s'agissait. Et depuis, tu n'as fais que t'enterrer dans le travail et les choses plus importante. Alors, une personne te portant de l'intérêt, factice ou non.. Cela te perturbe, t'intrigue.

- Nous pouvons mettre la discussion sur l'emprunt pour l'appareil en suspens. Et si vous réussissez à me convaincre de l'intérêt de ce hobby.. Je paierai personnellement pour les réparations et les pellicules.

Tu es joueur aujourd'hui. Tu ne sais pas si c'est son charme ou sa presque désinvolture mais une part de toi veux essayer de lâcher prise. Ne serait-ce qu'un peu. Tu ne pourra que te plaindre de ton idiotie plus tard si cela ne génère que brûlures mais tu sais que l'inertie est ce qui a fait tomber ton prédécesseur. Avec ton aide, évidemment.

- Cela étant dit, je ne balaierai pas la dette future de l'appareil. Mais j'accepte ce.. Pari. Ce "rendez vous".. Avez vous des dates en tête, Mr. Winchester ?