ce que nous raconte le ciel. | Sonly

Les articulations craquent, Sonja réprime un bâillement et elle comprend parfaitement qu’il est l’heure de se détendre. Les mots croisés l’appellent du regard, elle leur dit silencieusement qu’elle ne compte pas céder tout de suite à leurs caprices. Elle l’a vu, à travers la fenêtre de sa chambre, puis de son salon. Il brille de mille feux encore ce soir, se pare de ses plus belles couleurs : le ciel est d’une beauté à couper le souffle. On a de quoi le trouver prétentieux, mais comment lui en vouloir. Pour le célébrer, quoi de mieux que de se rendre au plus près de lui.

En empruntant les escaliers, un vent de liberté lui soulève la poitrine, ses pieds s’activent à l’amener là où elle marquera une réelle séparation avec son quotidien éreintant. Sonja a un peu honte, à son grand âge ça devient ridicule de s’extasier devant un spectacle côtoyé depuis son éveil. Son âme d’enfant ne lui dit plus rien, on lui a arraché son enfance et les bribes de souvenirs cultivés ne permettent pas de se projeter en arrière, sur cette planète détruite, délaissée pour de bon.

Les environs sont déserts, à priori. Son doigt appuie sur le bouton qui ouvre la lourde porte et elle en prend plein les yeux. L’immensité céleste l’immobilise, la laisse bouche-bée ; c’est un miracle de pouvoir vivre si proche des étoiles, de les sentir aussi atteignables qu’on ne peut que réaliser leur véritable distance une fois que sa main se heurte à la vitre. Elle reste ainsi, collée à la paroi, attendant de bien vouloir s’en défaire ou tout simplement que son coeur cesse de tambouriner fort dans sa poitrine. Il est tellement bruyant que Sonja croit que n’importe qui d’autre pourrait l’entendre.

Sssh, se dit-elle en tapotant doucement le torse. Difficile d’accepter l’incontrôlable. Les émotions sont les plus compliquées à dompter.

Les astres défilent à rythme lent, le vaisseau s’avance vers un nouveau départ et eux ne bougent pas, ne changent pas, perdurent dans leur état..quasi magique. Ne restons pas debout Sonja. Alors elle se retourne et repère un banc installé de sorte à ce qu’on puisse admirer sans se fatiguer les jambes.

Il ne s’écoule qu’une poignée de minutes avant qu’on la rejoigne dans sa contemplation. Comme l’impression d’être prise la main dans le sac, elle calme son sourire et se maquille d’une expression sérieuse à se demander où est donc passé cet enthousiasme d’il y a deux secondes.

Feindre l’indifférence quant à l’identité de l’arrivant par pur souci d’entretenir sa réputation lui vaut de ne pas remarquer qui est-il précisément.

Oh. Ça y est, sa tête se tourne vers lui. Tiens, ça faisait longtemps. Combien, elle ne saurait dire. Vous aviez disparu ? De la circulation, de la surface du vaisseau, de l’expérience de cette seconde vie. Les étoiles la rendent philosophique, loin de ses dossiers, Sonja perd pied.

Sa main fouille dans sa poche et en ressort un bonbon. Prenez-le, il est à la fraise.

La question a un million. Holy n’a pas conscience du piège qu’il vient de lui tendre en lui demandant tout simplement ; quoi de neuf. Elle aimerait lui répondre que rien, boulot, dodo, des fois un peu de divertissement et rebelote. Sauf que ces derniers temps, le destin et la vie sur ce vaisseau a eu envie d’altérer sa perception tranquille de sa réalité. Pourquoi se contenter de cette routine ennuyeuse, quand elle peut se pimenter d’imprévus. Mais Sonja n’évoquera ni son altercation avec Yve, sa rencontre avec ce dernier à un vernissage et encore moins le retour de son ex dans son paysage. Il serait mieux qu’on se voit plus souvent pour que j’ai moins à vous raconter, lâche-t-elle, en rigolant et sans aucune volonté d’élaborer sur le sujet. Son sourire se perd sur son déballage.

Pourquoi un bonbon, alors ? Parce qu’elle aime le sucré, qu’elle n’a pas grand chose à offrir qui ne soit froid, distant, occupé. C’est déjà incroyable qu’elle discute avec quelqu’un de ce qu’on peut juger comme futile parce qu’il n’amène aucune productivité. Regarder l’espace, réussir à s’en réjouir même après toutes ces années, c’est quelque chose qui demande une admiration quasi naturelle.

Mais globalement des choses d’adultes aussi, de celles auxquelles on ne peut échapper. De mémoire, il est cartographe, ça ne peut qu’alimenter cette passion, il a dû en voir plus qu’elle n’en verrait cloitrée entre les quatre murs de son bureau. Et plus que répertorier, Holy a du en découvrir des vérités, affronter des incertitudes, des doutes de ce qu’on essaye d’ignorer, d’apaiser pour continuer à croire.


Finalement, il y a quelque chose dont elle aimerait discuter. *Cette langue, tu la parles aussi.* Le tutoiement et le langage familier surviennent avec.

En se réveillant, Sonja a de suite remarqué qu’elle se souvenait encore de sa langue maternelle, que ses souvenirs pouvaient être couverts de brume et d’hypothèse, son cerveau avait porté en lui les connaissances de ses origines. Ce n’était pas toujours facile de ne pouvoir converser et se rappeler de ses racines qu’en se regardant dans un miroir. Son apparition dans sa vie a été comme une porte laissant entrer la lumière dans une pièce jusqu’à cet instant plongée dans le noir complet. Plutôt que parler de l’avenir, parlons du passé. Des scènes sorties de nulle part qui arrivent à la réveiller, mais dès que ses yeux cherchent à y voir plus clair, tout s’éteint.

Par où commencer, elle ne le sait même pas ! Tout est trouble, tout semble interdit, comme si parler de ce qui n’est plus serait renier ce qui  est et ce qui sera bientôt. Il n’est pourtant pas dans son objectif de rejeter le projet Borée, la jeune femme veut simplement savoir.

Quand vous êtes-vous réveillé déjà ? Il ne doit pas se situer parmi les plus jeunes, non plus pas dans sa tranche d’âge. Les apparences sont parfois trompeuses, les intentions aussi, mais ça ça n’est pas le cas d’Holy. Cela se lit sur son visage, s’entend dans ses pauses, se ressent dans ses gestes.

** - en coréen