Cacophonie | ft. Lyle

Il n'y a presque plus aucun bruit dans l'appartement. Lorsque je rentre, l'écho du silence m'abasourdi. Lorsque je pars, j'ai l'impression d'enfermer le cri de la porte derrière moi. Pour beaucoup, cela pourrait se transformer en un enfer silencieux mais pour moi, c'est un sanctuaire. Toutes les fenêtres devant vers l'extérieur sont bouchées par de grandes toiles occultantes, des veilleuses plantées un peu partout donnant une impression de halos de vie dans la pénombre. Le départ de mon père s'est fait rapidement, presque plus rapidement que celui de Mère. Il m'a laissé les clefs et n'a prit que le minimum de ses affaires. Je n'ai pas encore fais le tri, la plupart de leurs affaires sont enfermées dans leur chambre. Je n'y ai pas touché. J'y vais parfois cela dit, en silence, pour essayer de la réveiller même si elle n'est pas là.

Le salon n'en est plus vraiment un. Les canapés sont toujours présents mais bâchés de toiles où y règnent des tableaux terminés, ou non. Plus rien n'est réellement fait pour recevoir puisque je ne reçois personne à part une ou deux âmes. Sans compter Sibylline qui, je l'imagine, ne manquerai pas de me demander si je vais bien en voyant l'état. Paradoxalement, malgré le chaos, l'appartement est impeccable de propreté. Je ne supporte pas de voir quelque chose de salle traîner. Mère en serait folle de rage. Alors, je me suis contenté de transformer cet espace en atelier. Elle ne serait pas en colère, je ne crois pas. Je ne sais pas vraiment à vrai dire.


Le bon côté de vivre dans cet espace est la sensation d'être coupé du monde, l'incapacité de voir le temps passer. Je n'ai aucune idée de l'heure et du moment de la journée. Voir même de la nuit. Je me contente de peindre sans vraiment réfléchir, une teinte aux nuances bleues. Je me sens apaisé, une tasse de soupe fumante sur la table basse poussée dans un coin pour faire de la place à l'énorme chevalet. Le silence est battu par le bruissement du pinceau et la texture de la peinture. Je met d'ailleurs très peu de relief sur la toile, je la veux fine. Sensible. Je veux que l'on puisse encore apercevoir la toile blanche derrière malgré le nombre de détails. Une mission impossible mais que je m'efforce à mener, la volonté comptant plus que le geste à cet instant.

Le temps s'écoule lentement, presque trop. La sensation de remonter celui-ci alors même que mon corps continue son éternelle descente. Je vis momentanément dans une bulle éternelle dont seul le chaos pourrait entailler l'ordre. Mes gestes sont doux et délicats contre la toile dure et froide. L'espace d'un instant, je me pose la question de la superficialité de ce que je fais. Nous allons tous mourir, ici perdus dans l'espace. Et pourtant, je peins. J'utilise des ressources pour peindre le nouveau chef d'œuvre qui calmera les âmes avant l'abattoir. Je suis un monstre. Je mériterais de mourir moi aussi. Mère aurait dût survivre. Pas moi.

La porte s'ouvre et mon visage se tourne brusquement. Un trait de peinture s'écrase mollement sur la toile, ruinant ou améliorant l'œuvre.. Bien qu'alerté par l'intrusion, je ne peux empêcher mes yeux de s'arrêter de nouveau sur la peinture. Passer autant de temps à travailler la minute, la perfection, pour n'avoir qu'un trait bâclé et surpris comme dernier coup de pinceau.. Ce serait raconté l'histoire de beaucoup. Alors, je pose mon pinceau et replace mon attention sur l'intrus à la voix familière.
Je le regarde faire. D'abord silencieusement. Je me pose la question de s'il sait où il se trouve. Ses yeux sont perdus presque autant que son esprit. Ma bouche se pince légèrement d'inquiétude tandis que je commence enfin à bouger. Mes pas sont fins, légers. Les bâches de protection ne font pas de bruits sur mes pieds, trop habitué à savoir où marcher pour déranger le moins possible. J'attrape quelques fins biscuits et retourne vers Lyle avec un sourire doux. Mes genoux fléchissent et je me place accroupis devant lui. D'un geste délicat, je lui place les gourmandise en main avant de déposer les miennes sur celles-ci pour en contenir les tremblements. Je lui caresse la peau doucement, comme ma mère le faisait quand elle voulait me calmer. Je lui souris et parle enfin, la voix douce.

- Tu n'es pas perdu.. Tout va bien.

Tout le monde est perdu à mes yeux. J'ai envie de le lui crier, de lui dire qu'il ne sert à rien de pleurer puisque nous serons tous ensemble à la fin. Mais je m'en empêches. Cela ne servirait à rien de lui dire de telles choses. Il n'a pas besoin de ça. Je l'observe pendant quelques secondes avant que l'une de mes mains ne vienne se poser délicatement sur sa joue pour autant réchauffer son visage que le soulever dans ma direction.

- Tu peux rester ici autant que tu le veux Lyle, tu le sais. Est-ce qu'il s'est passé quelque chose ?