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Étages inférieurs--  feat     @Alecto Pomeroy  "

Aucun espoir de se créer des souvenirs sur une future planète et si peu de souvenirs de l’ancienne. Comme pour la plupart des autres passagers, il ne lui restait que des fragments, mais ils étaient chers à son cœur.
Une femme blonde. Un accent français. Elle lui sourit malgré les nouvelles désastreuses et lui sourit en retour. Une main douce et fraîche dans la sienne, cherchant du réconfort devant ce géant de métal qui doit les sauver.
La chance d’être sélectionné à deux, quand une jeune fille de leur âge, aux grands yeux verts, pleure de laisser les siens derrière elle.  
L’espoir d’un nouveau monde loin de celui qui se meurt sous leurs pieds.
La promesse d’être toujours là l’un pour l’autre. Un dernier baiser, comme pour se souhaiter bonne nuit, un dernier regard confiant et complice. La certitude que tout va bien se passer, cette certitude propre aux amoureux et aux simples d’esprit.

La malchance d’être réveillé bien avant l’heure.
Le désespoir de ne pas la trouver de suite dans la foule.
Quant à la promesse…
Dogma est intransigeante et toutes les nouvelles compétences, les nouveaux savoirs doivent se frayer un chemin dans ces cerveaux endormis. Les vieux souvenirs sont balayés pour laisser place à des compétences plus intéressantes, plus efficaces, plus pérennes pour l’espèce humaine. Les éveillés oublient le superflus
Quand il la voit enfin, le cœur au bord des lèvres, son phare, sa chaleur dans les couloirs froids, il l’appelle comme respirant enfin depuis son réveil. Elle se retourne et il n’a pas besoin de plus que d’un regard étonné pour comprendre. Il était superflu.

Il n’aura pas les tripes de l’aborder. Il la regardera de loin vivre la vie qu’ils s’étaient promis. Un nouvel homme, de nouveaux souvenirs, sûrement plus précieux que les anciens, un endroit où vivre à deux et bien entendu un enfant.
Une voix lui souffle que se reproduire dans ses conditions est de la folie pure mais il la fait taire. Il sait reconnaître la jalousie.

Les couloirs stériles résonnaient de rire et de cavalcades. Mais pas venant de cet enfant

Etrangement, elle lui semble plus petite que les autres, plus discrète, plus maline aussi. La première fois qu’il put lui parler, elle s’était perdue dans les couloirs. Les quartiers Kymal étant proches de celui des Théseisses, il avait trouvé le double miniature de sa flamme quasiment devant sa porte. Loin d’être effrayée la fillette s’était laissé raccompagnée en posant mille questions : Qui es-tu ? Pourquoi tu es là? C’est quoi un soleil ? Tu sais ce que c’est une pattemouille ? Tu veux que je te montre ?

(Les réponses étaient simples, bien qu’il ne les ait jamais dites : je serais ton ombre. Je suis là pour être ton ombre. Un soleil sert à créer des ombres. Non je ne sais pas. Peut-être un jour, pourquoi pas.)

Il rendit la petite fille à sa mère qui remercia le “gentil Theseisses”. C’était la première fois depuis son éveil qu’il échangeait quelques mots et un vrai regard avec cette femme blonde et il s’en détourna bien vite, ce nouveau souvenir allant se ranger à côté des autres dans la boîte “inutiles et précieux. Ne pas toucher.”
Sa flamme était éteinte, mais il s'attacha plus que de raison à la fillette. Il s’était brûlé à vie, mais peut-être pouvait-il se réchauffer auprès de cette flammèche ?
Dès qu’il en avait l’occasion, il grognait sur les autres enfants, ceux qui se pensaient plus forts ou plus intelligents que les Kymal. Il apparaissait pour remettre l’enfant sur ses jambes après une vilaine chute, écraser une larme de son pouce maladroit avant de la renvoyer à sa vie. Il répondait à ses questions avec plus de mots qu’il n’en utilisait pour personne d’autre. Il s’inquiétait de la voir seule et s'enorgueillissait quand son professeur faisait ses éloges, le soir, autour d’un repas.  

Ce n’était pas son rôle et il le savait. La preuve, il n’en parlait jamais à son psy, peu certain de la réaction que ça déclencherait.

Bradley avait les yeux dans le vague et l’esprit encore plus loin dans le passé quand Neha vient le chercher. Il aimait bien Neha. Une petite souris timide qu’un bonjour dit trop fort aurait fait sursauter. Aussi il se contentait de hocher la tête, sans avoir conscience que ça ne devait pas être beaucoup plus rassurant au vu de sa mine renfrognée.

Se relevant, il rejoignit Alecto de son pas lourd. Comme à son habitude, il prit le temps d’observer son sourire, si léger, presque invisible, si différent de celui de sa mère et, comme une ironie du sort, si proche du sien. Pour ça ils se comprenaient, tous les deux peu enclins à montrer leurs émotions, avares de démonstrations et de mots. S’ils n’avaient pas le même sang, Bradley se plaisait à imaginer qu’ils avaient le même type d’âme.

- Ne t’excuse pas pour le retard, j’étais… Dans mes pensées. Et oui c’est bien ça. Tu sais que j’ai tendance à abîmer les vêtements. On a toujours besoin d’une nouvelle veste.

Pas vraiment un mensonge, pas vraiment une vérité. Une excuse pour passer du temps avec la fillette qui n’en était plus une du tout, prendre des nouvelles, vérifier que sa petite flammèche brûlait dans le bon sens.

Toujours pas son rôle, toujours personne pour l’en dissuader.

Il entra dans la fameuse antre, habitué des lieux et pencha la tête pour observer les croquis délaissés avec intérêt bien qu’incompréhension. Les yeux glissant sur l’atelier, les tissus, les rubans, il marmonna dans sa barbe, l’esprit toujours nostalgique.

- Et je ne sais toujours pas ce qu’est une pattemouille.

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Bradley n’était pas spécialement pressé, pas pour elle, et il était quasi sûr qu’expliquer ce qu’était une pattemouille tenait en deux phrases. Mais il joua le jeu, haussant un sourcil amusé.

- Très bien, garde donc tes secrets.

Il disait ça avec la même insouciance et le même sourire dans l’oeil que lorsqu’il avait dit “à tout à l’heure” à la mère de la jeune femme face à lui, il y a si longtemps. Décidément, cette famille le rendait un peu stupide.

Parce que s’il avait su tous les secrets de sa protégée…

Bradley n’était pas sans connaître Rook. Il était même un des rares à croire à son existence parmi les Théseisses tandis que chaque famille hurlait d’un air outré quand on sous -entendait qu’une personne dans leur rang organisait toute la contrebande du vaisseau.

Mais, loin dans sa jeunesse (déjà 25 ans ? Ca lui semblait des millénaires aussi bien qu’hier), il rodait dans des endroits interdits. Il utilisait son entraînement et ses poings pour gagner des crédits dont il avait besoin mais pas autant que de l’adrénaline qui le faisait se sentir vivant. Bradley avait vu toutes sortes de choses circuler dans ces cercles. Alcool frelaté, pièces de rechange, les premiers fruits arrachés aux rares arbres qui poussaient dans le vaisseau.

Il fallait bien que quelqu’un gère tout ça. Il en était persuadé. A l’époque, le nom de Rook était déjà chuchoté parmi les habitués, certains avec méfiance et d’autre avec déférence. Aussi, lorsque, immanquablement on lui mit le nez dans ses erreurs et qu’il se retrouva tout en bas de l’échelle, il chercha cette ombre. Une bien plus grande que la sienne et plus menaçante aussi. Mais, s’il lui mettait la main dessus, elle serait le sésame pour retrouver la confiance de ses supérieurs et reprendre le fil de sa carrière.

Cette chasse à l’homme avait duré de longues années. Jusqu’à ce qu’il accède au Graal qu’était le poste d’Hildr en s’illustrant avec ce qu’il savait faire de mieux : se battre.
Il n’avait plus le temps ni le besoin de courir après les chimères, mais ça le hantait encore. Il gardait les yeux et les oreilles grandes ouvertes, cherchant encore cette ombre chinoise qui prenait des formes extravagantes pour mieux se moquer de lui.

Il n’a pas vu ou pas voulu voir le rapprochement de Alec et d’une Kymal qui était sur sa liste. Après tout, elle grandissait, n’avait pas besoin de lui pour la remettre sur ses pieds vu qu’elle ne tombait plus. De son côté, il était pris par ses nouvelles fonctions.

C’était là une raison de plus de savourer ses rares retrouvailles avec la fille qui aurait dû pu être la sienne. Lui, si souvent en armure, qui n’acceptait le contact d’autrui que sur un tatami, il la laissa prendre ses mesures. Lui qui ne se faisait toucher que par les poings et les pieds de petits malins qui pensaient pouvoir coucher le vieux cabot qu’il était, il profitait pour une fois d’un peu de douceur.

Toute barrière baissée dans le confort de l’atelier, il s’entendit répondre sans y penser :

- Tu veux que je regarde pour la ventilation ?

“Non mais vraiment, je me prends pour qui ? Elle n’a pas besoin de toi, vieux fou.”

Il remit son tshirt pour cacher son air grimaçant et se pencha sur les travaux d’Alec.
Une fois encore, il n’y pigeait pas grand-chose. Avant qu’elle ne devienne couturière, il ne s’y était jamais intéressé. Mais il devait avouer qu’il avait pris goût à avoir une veste bien taillée et ajustée.

- Tu vas être surprise, mais j’en ai marre du noir, tu as un peu de couleur ? Me sors pas du rose non plus, mais pourquoi pas du marron ou du vert ?

Il passait les pages, avec cette même lueur dans l’œil, une fierté mal placée mais qu’il ne pouvait s’empêcher de ressentir.

- En tout cas, c’est du beau boulot ce que tu as là. Bien joué.

Une fois encore, vieille ombre, pour qui te prend ?

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