Sibylline avait besoin de distraction.
On pourrait croire qu'on ne pouvait jamais s'ennuyer chez les Cervantes – et c'était vrai, la plupart du temps.
Mais il y avait un temps pour tout, et ces dernières années avaient été particulièrement éprouvantes pour La Musa.
La Musa.
C'était son nouveau titre, elle devait s'y habituer. Cela faisait un an déjà, mais il s'était passé tellement de chose, il avait fallut s'adapter si vite.
Sa tante n'était plus là pour la guider. Et bien qu'elles étaient en froid au moment de son décès, elle n'avait pas souhaité la voir partir si tôt.
Pourtant, il avait bien fallut qu'elle se reconstruise, pour décharger son père.
Elle avait eu une longue conversation avec son frère sur le sujet. Il avait toujours été prévu que ça soit lui qui reprenne ce rôle, mais il a refusé.
La voilà donc dans ce vaste bureau, qu'elle avait fini par ré-arranger pour qu'elle s'y sente plus à l'aise, quitte à ce que ça soit son nouveau quotidien.

Sibylline avait déjà assisté à des réunions avec son père, mais c'était surtout pour tout ce qui était organisation, ou mise en place. Elle dû apprendre par elle-même que c'était très différent qu'on lui soumette des projets. Elle ne pouvait pas dire "oui" à tout pour faire plaisir, et si elle disait "non", il fallait qu'elle se justifie. Elle en venait à regretter le temps où elle pouvait simplement se concentrer sur sa carrière musicale.
Bien que, petit à petit, des quelques projets qu'elle avait pu faire naître, elle avait trouvé une grande satisfaction de voir sa maison se développer petit à petit dans plusieurs domaines. Elle commençait à apprécier de se sentir impliquée, quelque chose qui l'avait fortement intimidée au début.
Et maintenant qu'elle avait un peu plus confiance en elle, chaque jour lui paraissait un peu moins difficile.

Elle n'avait qu'un rendez-vous aujourd'hui, et lorsqu'on frappe à la porte, elle ratura une dernière parole qui ne lui convenait pas dans la chanson qu'elle essayait désespérément de terminer depuis un moment déjà.

Entrez ! Ah, enchantée... Monsieur... Nicholas Windsor ?

Par réflexe, elle s'efforçait d'être un minimum formelle lors de ses entrevues. Il fallait être professionnelle.
La demoiselle se lève pour lui serrer la main, mais Nicholas la surprend en lui faisant le baise-main.
La surprise est visible sur son visage.
Ce n'est pas qu'elle ne faisait pas régulièrement objet de galanterie, mais elle avait beaucoup enchaîné les malheurs ces derniers temps et elle n'avait pas eu la tête à penser à grand chose d'autres.
Et c'était étrange, de se dire que ça n'était pas déplaisant.
Pourtant, la culpabilité prend le dessus et elle chasse cette pensée avec un sourire en invitant Nicholas à s'installer avec un sourire, en faisant de même.

Je vais très bien, merci, tu es très élégant toi aussi ! Est-ce que je peux te servir quelque chose ? Eau ? Thé ? Café ?

Il y avait un petit plateau à disposition avec des rafraichissements, c'était la moindre des choses de faire en sorte que chacun se sente à l'aise en venant ici.

Nicholas sait comment lui parler, La Musa sourit plus sincèrement car les compliments sont dirigés vers sa maison. Ce n'était pas si difficile de lui faire plaisir, et maintenant plus que jamais, reconnaître que les Cervantes allaient bien et étaient des gens capables lui mettait du baume au coeur.

Ah, nos artistes ont du talent, c'est certain ! J'espère que tu continueras à lui demander ses services, ton styliste a manifestement très bons goûts. Moi j'aime beaucoup les designs d'Alecto, tu la connais sans doute.

Cela faisait un petit moment qu'elle était habituée à ce que la Kymal l'habille pour des représentations. Bien qu'entre sa période de rupture et de deuil, elle ne l'ait plus beaucoup vu, Sibylline avait peu à peu repris ses activités et avait promis de ne pas recommencer.
Elle ne refusa pas le thé que le Windsor s'était proposé de préparer. Il savait sans doute mieux servir qu'elle, et elle préférait le café pour sa part. Elle savait mieux doser le café que faire infuser le thé, elle savait que certaines personnes étaient très particulières sur le sujet, il disait lui-même l'être.
Elle leva les mains en signe d'innocence.

Ah, alors il faudra que tu m'apprennes un jour, j'avoue ne pas être une experte... Mais ça m'intéresse !

L'exposition dont elle parlait la rendait fière. C'était un pari un peu osé qui frôlait avec la censure, mais n'était pas vulgaire. Des photographes avaient pris plusieurs jours avec plusieurs modèles pour mettre en avant la beauté du corps humain, et ça avait donné quelque chose de poétique et de fascinant. De choquant pour les plus conservateurs et les plus prudes, mais Sibylline trouvait important de dévulgariser une certaine forme de nudité ; mettre en avant les muscles dessinés, les rondeurs, les plis.

Je suis ravie de l'entendre alors ! C'était un pari risqué, j'ai surtout eu des échos négatifs... Pourtant, nous avions eu beaucoup de visites, et c'est ce qui compte. Je ne sais pas si on renouvellera l'expérience tout de suite mais...

Sibylline se retourne vers lui pendant qu'il prépare encore le thé. Il a le dos tourné, affairé qu'il était avec la bouilloire, et ses yeux vont naturellement à hauteur de son bassin. Ils remontent vite pour détailler les traits de ses muscles mis à nus, il y a peu de place à l'imagination pour deviner que son dos était aussi large et bien bâti.

Erm, je suis sûre que ça leur plairait aussi.

Elle se retourne en vitesse en espérant que Nicholas ne l'ait pas vue. Ce n'était ni correct, ni professionnel.
Fut un temps où tout ça ne lui faisait aucun effet.
Ce n'était pas la première fois qu'elle voyait Nicholas pourtant ; peut-être était-ce différent parce qu'ils étaient seuls ? Elle préféra ne pas trop réfléchir à cette question et le remercia quand il lui apporta sa tasse.

Absolument ! Ouvrir le QG des Cervantes pour laisser accès au bar est une bonne chose. Il y a toujours une clientèle fidèle au casino mais, on ne peut pas dire que l'ambiance soit la même. J'aime à croire que nous offrons une expérience en plus, et puis, on fait tourner les menus.

Sibylline secoue la tête.

Mais je m'égare. A moins que ton projet ait quelque chose à voir avec le bar ?

Sibylline sourit légèrement. S'ils avaient plus de revenus, l'art serait largement plus répandu et plus varié. Elle ne pouvait qu'en rêver pour l'instant, mais elle était proactive ; on ne pouvait pas lui reprocher. Elle était plus aventureuse que quand son père gérait la maison ; parfois ça marchait, parfois non.
Elle n'avait de compte à rendre qu'à ses investisseurs.

Je ne peux ni affirmer ni contredire tes propos... Mais j'admets que ce sont eux qui ont le plus d'argent et donc le plus de potentiels d'investir, s'ils s'intéressent à ce que l'on fait...

Mais convaincre l'un des jumeaux Kramer lui donnait des maux de crânes. Reyna était... Reyna, et Reagan lui concédait sans doute par pitié certains projets, mais elle ne savait pas négocier. Elle disait un grand chiffre, en sachant que Reagan ferait tout pour le descendre au maximum, et elle ne se battait pas.
Elle imite Nicholas en mélangeant son thé, puis repose délicatement la cuillère avant de souffler sur sa boisson. Elle devait admettre que la fragrance des thés était souvent plus plaisante que celle du café.
Le concept de club d'hôtes lui fait froncer les sourcils. Le terme ne lui était pas familier, elle sirota sa boisson en l'écoute, avec un mélange de confusion et de de curiosité.

Tu veux dire... Servir un menu, et donner un tête à tête en même temps ? Est-ce que ça marcherait vraiment ? Tu es sûr qu'on ne risque pas de confondre cela avec de la prostitution ? J'entends bien que ça n'est pas ce que tu proposes mais... Si je dois vendre ce concept auprès d'investisseurs, ça me parait un peu léger comme concept.

Pourtant, elle peut y voir un attrait. Ca ne demanderait pas énormément de budget à mettre en place, puis il y avait plein de personnes chez les Kymal ou les Cervantes qui avaient de très beaux visages et qui sauraient être charmants.

Et tu ne trouves pas ça dégradant pour ta personne ? Je veux dire... C'est te réduire à ton apparence. Et à prétendre apprécier la compagnie de personnes qui ne seront pas toujours plaisantes. Ou qui n'auront qu'une idée en tête. Penses-tu que plusieurs personnes seraient intéressés pour être un "hôte" comme toi ?

Sibylline reprit une gorgée de thé et se tourna vers l'écran de son ordinateur.

Qu'est-ce qui t'as inspiré cette idée ? Est-ce que tu gagnerais significativement plus que tes collègues par exemple ?

Elle regrettait presque de poser la question. C'était admette que le concept l'intéressant, et en même temps... Qu'allait-on penser de sa maison si on pensait qu'elle vendrait des services de prostitution glorifiés et déguisés ?