Brain storm ? More like a brain tempest !

Comme à l’accoutumée, Sasha était en retard.

Oh, elle avait bien programmé de faire le ménage de son appartement la veille de sa soirée. Mais à la bibliothèque, elle était tombée sur une thèse fascinante sur la vie sociale des carnivores en captivité, et en quoi ces animaux devenaient beaucoup plus sociables que dans la nature. Jusque assez tard dans la nuit, elle s’était demandé à quel point ces conclusions s’appliquaient aussi aux humains enfermés dans le vaisseau. Bref, elle n’avait pas touché davantage à une éponge qu’aux poils d’un balai.

Alors aujourd’hui, elle avait fermé un peu plus tôt la bibliothèque (et si quelqu’un a besoin d’un livre ?) et couru jusque chez elle pour briquer un peu son logement à la dernière minute et préparer des snacks pour la soirée avec Octarine. La prochaine fois, promis, j’anticipe.

Fort heureusement, Octarine aussi était en retard, puisqu’elle semblait considérer que n'importe quel trajet, même à l’autre extrémité de Neo Century, s’accomplissait forcément en moins de cinq minutes. Un optimisme régulièrement déçu, mais qui assurait un retard d’une grande fiabilité dont Sasha profitait à présent.

Avant de passer à la douche, un dernier regard sur le salon pour s’assurer que tout y était propre. La pièce était assez restreinte et Sasha avait couvert chaque espace disponible de plantes en pots (chacune dotée d’un cache-pot tricoté et d’une petite étiquette avec son prénom), d’étagères de livres et de reproductions personnelles d’anciennes œuvres d’arts terriennes, telles une série de tableaux célèbres mais avec des protagonistes insectes (« Ceci n’est pas un grillon », « La jeune mante à la perle » ou encore « Fourmica », une grande toile montrant l’atrocité de la guerre entre fourmis esclaves et esclavagistes). Parfois, elle était très fière de ces toiles (Je suis une artiste !) mais la plupart du temps, elle avait conscience d’être dotée, en place de flamme créatrice, au mieux d’un bon talent de copiste. Touche à tout, experte en rien.

Elle finissait de se préparer au moment où Octarine frappa à la porte. Dans les minutes qui suivirent, elle observa son amie s’agiter dans tous les sens en déballant le contenu de son sac. Octarine occupait souvent plus d’espace que Sasha, mais plutôt que de s’en vexer, celle-ci se sentait curieusement rassurée, comme si elle pouvait laisser, quelques instants, la responsabilité des choses à une amie plus capable. De toutes façons, elle aurait le temps de se rattraper en monologue plus tard dans la soirée.

Elle battit des mains devant le bébé Pilea pour manifester sa satisfaction, avant de l’installer dans un espace vide entre Marcus le cactus et Esmée, la dionée carnivore.

- Andréa le Pilea ? Tu crois que ça lui irait ?

Elle profita qu’Octarine disparaissait dans la salle de bain pour sortir son gâteau du four, constata qu’il avait trop cuit, gratta la surface avec un couteau pour ôter la trace de brûlure, puis, un peu rouge de honte, l’apporta à la table basse du salon et s’installa en tailleur directement par terre au moment où Octarine ressurgissait.

- Ça allait ! J’ai lu un truc troooop intéressant hier…

Au bout de quelques minutes, elle se dit que son amie ne souhaitait pas forcément un exposé complet de l’article sur les comportements des carnivores (Trop tard, c’est fait, argh) et poursuivit.

- Sinon, le Kymal bizarre de l’autre fois est revenu à la bibliothèque et il s’est installé là pendant une heure, sauf qu’il ne lisait pas du tout, il ne faisait que regarder par-dessus son livre sans tourner les pages. Alors j’ai essayé de l’ignorer en mettant mon casque pour qu’il ne puisse pas me parler. Et ça a marché !

Sasha avait vaguement conscience qu’elle ne devrait pas éprouver de fierté à s’être montrée grossière, mais elle était trop contente d’avoir esquivé le lourdaud. En même temps, même racontée à Octarine, la situation demeurait embarrassante.

- Après ça, j’ai travaillé sur la maquette du podcast tout l’après-midi. Regarde, j’ai même fait un power point pour te montrer !

Vraie fierté dans la voix, cette fois. Sasha adorait les power point. Elle avait passé beaucoup de temps sur celui-ci, qui recoupait à la fois les rubriques de l’émission, leurs titres, des idées pour le logo de l’émission et la phrase d’accroche, et bien sûr des pistes de sujets pour la première édition et des personnalités qu’elle souhaitait inviter. Mais il était sans doute un peu tôt pour ça et puis, la navigatrice avait mentionné une journée compliquée.

- Enfin, on verra ça tout à l’heure. Et toi ? Journée difficile ?