EXPLORATION SPATIALE
L’espoir de Beatriz est mort. Dès lors que les lettres s’affichent, elle le sait. La bouche tordue en une expression de colère, les sourcils froncés, elle balaie l’assistance, repère les sourires et l’exaltation de la foule, les murmures enjoués qui s’échangent. Pour elle, ce n’est qu’une colère brute, au creux de son estomac, qui remonte dans sa gorge avec un goût de bile. Elle secoue le bras devant elle, comme si elle essayait de tous les chasser et ne peut s’empêcher d’exprimer son dégoût.
― De toute façon, il n’y en a toujours que pour les mêmes !
Le ton est froid, mordant, mesquin. La Galéréïs quitte la pièce en trombe, bousculant les gêneurs sur son passage.
[…]
Ses pas l’ont porté devant son logement. Elle n’a pas le cœur à se mêler à la foule et aux réjouissances. La vie qui bruisse dans le vaisseau lui semble soudain assourdissante. Mais, ses mots résonnent aussi dans la tête de la jeune femme. Les craintes qu’il a exprimé, elle les a aussi partagé. Même si elle les a enfouis sous ses envies d’exploration – non, son besoin d’exploration. Elle aussi s’est inquiétée et une part d’elle-même ne peut l’oublier, des ressources limitées qu’ils possèdent, de cette distance encore inconnue qui les sépare de Borée et si, même, ils l’atteindraient seulement un jour.
Elle soupire. Ce n’est pas son genre de s’en faire pour ces choses-là, d’ordinaire. Elle se décide enfin à frapper à la porte d’Yve.
― Hé, l’éclopé ? T’es chez toi ?
Bea attend à peine quelques secondes avant d’enclencher la poignée – l’intimité et elle, cela avait toujours fait deux. A sa surprise, la porte n’est pas fermée. Un bref haussement d’épaules plus tard et elle pénètre dans l’appartement.
Enfin, si on pouvait appeler ça un appartement. C’est comme si un ouragan s’était matérialisé dans la pièce. Des amoncellements de feuilles, de tasses, de machins, de bidules, qui envahissent les tables, le sofa ou même le sol. La moindre parcelle de meuble a disparu sous un amoncellement de … mais qu’est-ce qu’il fait pour que tout ça soit autant en foutoir ? Beatriz, légèrement consternée, l’appelle une nouvelle fois, sans succès. Il ne doit pas encore être rentré. Avec sa patte folle, ce ne serait pas étonnant qu’elle l’ait devancé.
― Nan mais vraiment Yve, tu t’y retrouves dans tout ton merdier ? La voilà qui commence à parler toute seule. Bon, est-ce qu’au moins il y a une machine à café dans ce bordel ? … Ah bah oui tiens, sous la pile de dossiers et d’assiettes et de machins métalliques, c’est évident, suis-je bête. Un silence tandis qu’elle trifouille les boutons. Bon, bien sûr, ça ne marche pas. Je croyais pourtant qu’il se faisait des perf’ de café tous les jours. Bon, bon bon …
Soupirant, la belle retourne dans le salon – ou du moins ce qu’il en reste. Balayant la pièce du regard, à la recherche d’une place où s’installer, elle se décide finalement à opter pour un petit coin légèrement dégagé au pied du canapé, à même le sol. Une jambe repliée, son coude posé sur le genou, la voilà qui attend et, pour briser le silence qu’elle ne semble jamais pouvoir supporter, se met à chantonner doucement un air de son cru.