Je trouve que Madame est servie - Aminata

D’un geste rapide, elle ajuste sa frange du bout des doigts sans cacher son agacement. Ca va maintenant faire quarante-six secondes qu’elle attend l’ascenseur - elle les a comptées – et Gloria alpague un de ses collègues pour insister que c’est insupportable, ces délais stupides qui la coupent dans son élan quand elle est de bonne humeur, qu’elle anticipe déjà la migraine qui va arriver quand elle sera fatiguée rien qu’en repensant à ce fichu engin ; l’ascenseur arrive et délivre le malheureux de sa complainte interminable.

Le bout de ses bottes frappe le sol frénétiquement tout le long de la descente. Comprenez-la, c’est normal d’être de mauvaise humeur alors que la journée (ou plutôt, la nuit) commence si mal ! Déjà, elle a dû se forcer à faire une sieste en plein milieu de l’après-midi pour être en forme, et c’était très inconfortable. Ensuite, elle a remarqué que sa bouteille de parfum était bientôt terminée, et qu’elle avait un cheveu blanc derrière l’oreille. Elle vous le dira, elle est même d’ailleurs en train de le dire à son collègue qui essaie de la semer dans le couloir : catastrophe sur catastrophe, comme si tous les mauvais présages de l’univers avaient décidé de se manifester en même temps. Et puis les soupes de la cafétéria sont toujours fades, le soir, mais peut-être que c’est juste son impression parce qu’elle préfère les plats plus riches en texture, vous avez déjà mangé du ceviche ?

Lorsque l’équipe de recherche atteint enfin les hangars, elle se divise et tous se dirigent vers leurs zones d’enregistrement respectives. Le persécuté se félicite d’avoir été assigné à un autre vaisseau que Gloria en voyant qu’elle s’éloigne de lui aussi prestement qu’elle s’était approchée… et malheureusement, sa joie ne dure pas, puisqu’elle revient quelques minutes plus tard, en piétinant le sol, furieuse.

- Non, et non ! Il est hors de question que je sois dans ce groupe ! Laissez-moi m’inscrire avec vous !

La Scandalisée refuse une fois d’expliquer les raisons de sa dissidence – mais ses collègues, habitués à ses fantaisies, savent comment la cuisiner pour qu’elle finisse par admettre ses intentions. Elle refuse d’être pilotée par quelqu’un d’autre que l’Officier supérieur. Une téméraire ose lui demander pourquoi, et déglutit lorsqu’elle voit le sourire de Gloria faillir pendant quelques secondes, avant de se rétracter.

- Toi. Sois un ange, tu veux bien aller voyager avec Truc et Muche, là-bas ? Ca n’impactera pas vos objectifs, mais ça rendra les miens beaucoup plus faciles.

Il proteste, c’est son tour à lui de voyager avec la Sigrun, elle a déjà eu son tour la dernière fois, et son humour vaseux se heurte à un mur de pierre. Pour la première fois depuis qu’elle est arrivée devant elle et qu’elle a tapé son scandale, Gloria regarde Aminata dans les yeux alors qu’elle s’adresse aux deux concernés.

- Vous me ferez bien cette faveur, oui ?

Elle tourne la tête et semble chasser du regard son collègue, lui indiquant silencieusement de s’éclipser, un sourire factice étirant ses lèvres. Ce dernier considère ses options, se dit qu’il vaut mieux céder pour cette fois, et hausse les épaules en direction de la pilote.

- Je peux m’occuper de la paperasse, si vous voulez… ?

Etant une véritable épreuve de patience sous forme humaine, bien sûr que Gloria fait les yeux de biche pendant que l’Officier pose les termes de son rappel à l’ordre. Sans faire le moindre effort pour cacher qu’elle ne se sent pas concernée par de potentielles sanctions, elle adresse un insolent « ciao ciao » à son collègue qui s’éloigne enfin, déterminé à s’éloigner du désastre provoqué par l’insupportable botaniste. Comme souvent, mieux vaut la laisser avoir ce qu’elle veut lorsqu’elle fait trop de bruit, plutôt que de prendre le risque de se retrouver au conseil de discipline avec elle.

Puis, sans un mot, mais avec le sourire d’une enfant qui vient d’obtenir ce qu’elle veut, elle suit Aminata. Voilà comment on prend les choses en main pour transformer une mauvaise journée, les enfants. On fait chier tout ce qui bouge jusqu’à ce que tout soit arrangé pour nous, et ensuite, on profite, se dit-elle en parcourant du regard le vaisseau dont elles s’approchent. Ses yeux glissent vers la pilote, qui ne perd pas une minute pour finir de se préparer et entrer dans le cockpit. Hm. Ca va déjà un peu mieux.

Gloria la suit de près, et bien qu’elle ne soit pas la plus professionnelle de sa Maison, elle s’applique tout de même à reproduire les gestes et les précautions qui lui ont été enseignés avant qu’elle soit autorisée à partir dans l’espace. Le décollage est tolérable, même si elle se sent autant à l’étroit dans le cockpit que dans sa combinaison. Lorsqu’Aminata se retourne vers elle, elle retire son casque à son tour, et passe la main dans ses cheveux pour les recoiffer un peu.

- Oh, si tu savais ! Des fois, j’ai l’impression que le sort s’acharne contre moi volontairement. Même l’ascenseur s’y est mis aujourd’hui !

Lancée sur ses nombreuses plaintes du jour, elle commence à énumérer toutes les « horreurs » qui lui ont « pourri la vie », de sa bouteille de parfum presque vide jusqu’à l’affreuse soupe qu’elle a mangé… avant de se suspendre en pleine phrase, et de rediriger son regard vers la pilote avec un sourire espiègle.

- Au moins, mon terrible cycle de malchance a été interrompu grâce à toi… Maintenant, je suis sûre d’être entre de bonnes mains.

Un compliment dans une provocation. Si elle ne joue pas avec ses nerfs, qui le fera ? Ou plutôt, qui osera ? L’Azarai cligne des yeux innocemment, et continue de chercher jusqu’où elle peut pousser ses vilains petits affronts.

- Je mérite au moins ça, tu n’es pas d’accord ?